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06/01/2024

« Il leur envoie ces fantômes décevants, véritable protée, habile à revêtir toutes les formes. »

« Ils offrent à Jésus cet or que Jésus foulera aux pieds (...) Ils offrent l’encens parce que leurs liturgies sont sur le point de s’achever (...) Ils offrent la myrrhe qui sert à embaumer les morts »

(Giovanni Papini, Storia di Cristo, 1921)

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Peter Paul Rubens, L’adoration des mages (1632), détail : les esclaves des Rois Mages, portant les offrandes les plus lourdes

 

 

« Ces miracles et beaucoup d’autres qu’il serait trop long de rapporter, avaient pour objet de consolider le culte du vrai Dieu et d’interdire le polythéisme ; ils se faisaient par une foi simple, par une pieuse confiance en Dieu, et non par les charmes et les enchantements de cette curiosité criminelle, de cet art sacrilège qu’ils appellent tantôt magie, tantôt d’un nom plus odieux, goétie, ou d’un nom moins décrié, théurgie ; car on voudrait faire une différence entre deux sortes d’opérations, et parmi les partisans des arts illicites déclarés condamnables, ceux qui pratiquent la goétie et que le vulgaire appelle magiciens, tandis qu’au contraire ceux qui se bornent à la théurgie seraient dignes d’éloges ; mais la vérité est que les uns et les autres sont entraînés au culte trompeur des démons qu’ils adorent sous le nom d’anges. (…) sublime théurgie, qui donne à l’immonde envie plus de force qu’à la pure bienfaisance ! Ou plutôt détestable et dangereuse perfidie des malins esprits, dont il faut se détourner avec horreur, pour prêter l’oreille à une doctrine salutaire ! Car ces belles images des anges et des dieux, qui, suivant Porphyre, apparaissent à l’âme purifiée, que sont-elles autre chose, en supposant que ces rites impurs et sacrilèges aient en effet la vertu de les faire voir, que sont-elles, sinon ce que dit l’Apôtre (II Cor. XI, 14), c’est à savoir : « Satan transformé en ange de lumière » ? C’est lui qui, pour engager les âmes dans les mystères trompeurs des faux dieux et pour les détourner du vrai culte et du vrai Dieu, seul purificateur et médecin des âmes, leur envoie ces fantômes décevants, véritable protée, habile à revêtir toutes les formes… »

(S. Augustin, La Cité de Dieu, Livre X, ch. IX, « Des incertitudes du platoniciens Prophyre touchant les arts illicites et démoniaques » & ch. X, « De la théurgie qui permet d’opérer dans les âmes une purification trompeuse par l’invocation des démons »).

 


« Cruel Hérode, pourquoi crains-tu l’arrivée d’un Dieu Roi ?

Il ne ravit pas les sceptres mortels celui qui donne les royaumes célestes … »

 

LES TROIS MAGES

 

« Quelques jours plus tard, trois Mages arrivaient de Chaldée et s’agenouillaient devant Jésus.

Ils venaient peut-être d’Ecbatane, peut-être des rives de la mer Caspienne. A dos de chameau, avec leurs sacs gonflés pendus aux selles, ils avaient passé à gué le Tigre et l’Euphrate, traversé le grand désert des Nomades, longé la mer morte. Une étoile nouvelle – semblable à la comète qui apparaît de temps à autres dans le ciel pour annoncer la naissance d’un prophète ou la mort d’un César – les avait guidés jusqu’en Judée. Ils étaient venus adorer un roi, et trouvèrent un nourrisson pauvrement langé, caché dans une étable.

Presque mille ans avant eux, une reine d’Orient était venue en pèlerinage en Judée, et avait apporté elle aussi des présents : or, aromates et pierres précieuses. Mais elle avait trouvé un grand roi sur son trône, le plus grand roi qui eût jamais régné à Jérusalem, et elle avait appris de lui ce que personne jusque-là n’avait su lui enseigner.

Les Mages en revanche, qui se croyaient plus savants que les rois, avaient trouvé un enfant de quelques jours, un enfant qui ne savait encore ni questionner ni répondre, un enfant qui dédaignerait, une fois grand, les trésors de la matière et les sciences des mages.

Les Mages n’étaient pas rois, mais ils étaient, en Médie et en Perse, les maîtres des rois. Sacrificateurs, oniromanciens, prophètes et ministres, eux seuls pouvaient communiquer avec Ahura Mazda, le Dieu Bon ; eux seuls connaissaient l’avenir et le destin. Ils tuaient de leurs propres mains les animaux nuisibles, les oiseaux néfastes. Ils purifiaient les âmes et les champs : nul sacrifice n’agréait au Dieu, qui ne fût offert de leurs mains, nul roi ne serait parti en guerre sans les avoir consultés. Ils possédaient les secrets de la terre, et ceux du ciel ; ils en imposaient à leur peuple au nom de la science et de la religion. Au milieu de gens qui vivaient pour la matière, ils représentaient la part de l’esprit.

Il était donc juste qu’ils viennent se prosterner devant Jésus. Après  les bêtes, qui sont la nature, après les pasteurs qui sont le peuple, cette troisième puissance – le savoir – s’agenouille devant la mangeoire de Bethléem. La vieille caste sacerdotale d’Orient fait acte de soumission au nouveau Seigneur qui enverra ses hérauts vers l’Occident : les savants s’agenouillent devant celui qui soumettra la science des mots et des chiffres à la sapience nouvelle de l’amour.

Les Mages à Bethléem signifient les vieilles théologies qui reconnaissent la révélation définitive, la science qui s’humilie devant l’innocence, la richesse qui se prosterne aux pieds de la pauvreté.

Ils offrent à Jésus cet or que Jésus foulera aux pieds : ils ne l’offrent pas parce que Marie, qui est pauvre, pourrait en avoir besoin pour le voyage, mais pour obéir, avant le temps, au conseil de l’Évangile : vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres. Ils n’offrent pas l’encens pour vaincre la puanteur de l’étable, mais parce que leurs liturgies sont sur le point de s’achever et qu’ils n’auront plus besoin de fumées et de parfums pour leurs autels. Ils offrent la myrrhe qui sert à embaumer les morts parce qu’ils servent que cet enfant mourra jeune et que sa mère, qui à présent sourit, aura besoin d’aromates pour embaumer son cadavre.

Agenouillés, dans leurs somptueux manteaux de rois et de prêtres, sur la paille de la litière, eux, les puissants, les doctes, les devins, s’offrent eux-mêmes aussi, comme un gage de l’obéissance du monde.

Jésus a désormais obtenu les investitures auxquelles il avait droit. A peine les Mages repartis, commencent les persécutions de ceux qui le haïront jusqu’à la mort. »

 

Extrait de : Giovanni Papini, Histoire du Christ, traduction de Gérard Genot, L’Âge d’Homme, 2010, pp. 53-54.

 

08/04/2023

« Des douleurs intérieures de Jésus-Christ dans sa Passion » : LA TRISTESSE (1)

Méditation autour de la Passion

Père Louis Bourdaloue (1632-1704), Retraite spirituelle à l’usage des communautés religieuses, seconde méditation, Paris, transcription d’après l’édition des Libraires associés, 1753, pp. 315-320.

Tuc ait illis : Tristis est anima mea usque ad mortem. (Matth. c. 26.)

Alors il leur dit : je suis dans une tristesse mortelle.

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« PREMIER POINT. Jésus-Christ devait être notre modèle en tout, & il a voulu dans sa passion nous apprendre comment nous devons nous comporter dans les peines & les afflictions de la vie. Il y en a de deux sortes : d’intérieures qui n’affligent que l’âme, & d’extérieures qui affligent les sens. Or les unes & les autres me fournissent la matière de deux importantes méditations ; & quant à ce qui regarde d’abord des peines intérieures du Fils de Dieu, elles se réduisent à trois espèces, que les Évangélistes nous ont marquées, & qui sont la tristesse, l’ennui, la crainte.

De quelle tristesse est-il tout-à-coup accablé, lorsqu’après la dernière Cène qu’il avait faite avec les Apôtres, il va au jardin de Getsémani ! A peine peut-il se soutenir lui-même, & selon qu’il le déclare aux trois disciples qu’il a choisis pour l’accompagner, la douleur est si violente, qu’elle serait seule capable de lui causer la mort : Mon âme est triste, leur dit-il, & c’est une tristesse à en mourir. Voilà par où a commencé cette sanglante passion qu’il a endurée pour moi. Ce n’était point assez qu’il livrât son sacré Corps au supplice de la croix ; il fallait que son âme fût livrée aux plus rudes combats, & qu’elle en ressentît les plus vives & les plus douloureuses atteintes. C’était une partie, & même la principale partie de la satisfaction qu’il devait faire à son Père pour les péchés des hommes, parce que c’est dans le cœur que le péché est conçu, & c’est proprement l’âme qui, par le dérèglement de la volonté, le commet.

Quoi qu’il en soit, que fait-il dans cette tristesse qui l’abat, & qu’il ne pourrait porter sans un miracle ? A-t-il recours aux vaines consolations du monde ? Cherche-t-il au moins quelques soulagements & quelque appui auprès de ses Apôtres ? Se laisse-t-il aller à l’impatience et aux plaintes, & pour décharger son cœur du poids qui le presse, s’épanche-t-il en de longs discours ? Deux ou trois paroles, c’est tout ce qu’il dit de son état. Du reste, sans s’arrêter avec ses disciples, il se retire à l’écart, il va prier, il y passe trois heures entières, le ciel est tout son refuge & tout son soutien ; & qu’il en soit écouté, ou qu’il paraisse ne l’être pas, il y met toute sa confiance, & n’a point d’autre sentiment que d’une soumission parfaite & d’une pleine résignation : Mon Père, qu’il en soit fait selon comme vous l’ordonnez, & non comme je le veux. (Matth. c. 26.)

Quelque exempte que semble la profession religieuse des chagrins de la vie, il y a dans la religion aussi bien qu’ailleurs, des jours pénibles & des temps de tristesse. On a partout de mauvais moments, & j’ai les miens comme les autres. Nous sommes même tellement nés, que si nous n’avons pas de vrais sujets de chagrin, nous nous en faisons d’imaginaires. Sans examiner ce qui attrista le Fils de Dieu au point où il le fut, où il témoigna l’être, nous ne pouvons douter que sa douleur n’ait été aussi véritable dans son principe & aussi raisonnable, qu’elle était amère et sensible dans ses effets : au lieu que ce qui fait en mille rencontres toute ma peine, ce n’est qu’une idée & qu’un fantôme ; ce n’est que ma délicatesse extrême, que mon humeur inquiète, que mon orgueil, que mon amour-propre. Car si je veux bien rentrer en moi-même & sonder le fonds de mon cœur, je trouverai que c’est là communément ce qui le remplit d’amertume. Pourquoi êtes-vous triste, ô mon âme, & pourquoi vous troublez-vous ? (Psalm. 41.v.14) C’est que vous êtes ingénieuse à vous tourmenter, souvent sans raison, & même contre toute raison.

Mais, soit que mes chagrins soient bien ou mal fondés, comment est-ce que je les supporte ? Combien de réflexions également inutiles & affligeantes, dont e me ronge en secret ? Combien de vaines distractions que je tâche à me procurer, & au-dedans, & au-dehors, sous le spécieux prétexte de guérir mon imagination, & de la détourner des objets dont elle est frappée ? Combien quelquefois de dépit & d’animosités contre les personnes à qui j’attribue ma peine & que j’en crois être les auteurs ? A l’égard même de ceux qui constamment & de ma propre connaissance, n’y ont nulle part, combien m’chappe-t-il d’impatiences & de termes offensants, comme si je m’en prenais à eux, & que je fusse en droit, parce que je souffre, de les faire souffrir ?

Ô que ne suis-je soumis comme Jésus-Christ ! Si je savais me taire, & me tenir dans un silence chrétien & religieux ; si je me retirais dans l’intérieur de mon âme, & si j’y renfermais toutes mes peines ; si pour répandre mon cœur, je n’allais qu’à Dieu, & je ne voulais point d’autre consolation que celle qu’on goûte dans la prière & avec Dieu, que de fautes j’éviterais ! Que d’inquiétudes & d’agitations je m’épargnerais ! L’Ange du Seigneur viendrait, & il me conforterait ; ou plutôt, le Seigneur descendrait lui-même avec toute l’onction de sa grâce. Il me servirait de conseil, d’ami, de confident. Il appliquerait le remède à mon mal ; & s’il ne lui plaisait pas de m’en accorder l’entière guérison, du moins il l’adoucirait, & me le rendrait, non seulement plus tolérable, mais salutaire et profitable. J’étais dans le dernier abattement, disait le Prophète Royal, & je croyais que rien ne pouvait me consoler ; mais je me suis souvenu de Dieu, & tout-à-cou cette vue de Dieu m’a remis dans le calme & dans la joie. (Psalm. 76) Voilà ce que ce Saint Roi avait plus d’une fois éprouvé : pourquoi ne l’éprouverais-je pas de même ? »

« Des douleurs intérieures de Jésus-Christ dans sa Passion » : L’ENNUI (2)

Méditation autour de la Passion

Père Louis Bourdaloue (1632-1704), Retraite spirituelle à l’usage des communautés religieuses, seconde méditation, Paris, transcription d’après l’édition des Libraires associés, 1753, pp. 320-323.

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« SECOND POINT. Une autre peine intérieure dont le Sauveur des hommes se sentit atteint, ce fut l’ennui. Il commença à s’ennuyer, dit l’Évangéliste. C’était une suite naturelle de la tristesse qui l’accablait. Tout lui devint insipide, & il ne prit plus de goût à rien. Ces grands motifs qui l’avaient auparavant animé & si sensiblement touché, sans rien perdre pour lui de leur première force, perdirent du reste toute leur pointe. Ils se soutenaient toujours, mais sans aucun de ces sentiments, ni aucune de ces impressions secrètes, qui excitent une âme & l’encouragent. Tellement qu’il se trouvait comme abandonné à la désolation de son cœur. État mille fois plus difficile à porter que toute autre peine, quelque violente d’ailleurs qu’elle puisse être. État où se trouvent encore de temps en temps une infinité de personnes dévotes & religieuses.

Il y a des temps où l’on tombe dans le dégoût de tous les exercices de piété & de religion. Rien n’affectionne, rien ne plaît. On est rebuté de l’oraison, de la confession, de la communion, des lectures spirituelles, de toutes ses observances et de toutes ses pratiques. Peu s’en faut qu’on ne vienne quelquefois jusqu’à s dégoûter même de sa vocation, & à concevoir certains regrets de ce qu’on a quitté dans le monde. N’ai-je point été bien des fois en de pareilles dispositions, & n’y suis-je point encore assez souvent ? Si ce n’est point moi qui me suis réduit là par un relâchement volontaire, je ne dois point m’en affliger. Ce sont alors des tentations qui me peuvent être très salutaires, & dont il ne tient qu’à moi de profiter au centuple, en donnant à Dieu par ma confiance la preuve la plus certaine de ma fidélité. Mais le mal est que ce dégoût & cet ennui ne vient communément que de moi-même, que de ma négligence & de ma tiédeur. Je ne voudrais pas me faire la moindre violence pour me réveiller & pour m’élever à Dieu. Est-il surprenant alors que le poids de la nature m’entraîne ; & dois-je m’étonner que Dieu ne se communiquant plus à moi, parce que je m’attache si peu à lui, je ne fasse que languir dans sa maison, & que le temps que je passe auprès de lui, me semble si long ? Ah ! les heures me paraissent bien plus courtes, partout où je satisfais mon inclination.

Il est vrai néanmoins, & il peut arriver quelquefois que ce ne soit pas par ma faute que je tombe dans cette langueur & que je sens cet éloignement des choses de Dieu. Mais sais-je me rendre cette épreuve aussi utile qu’elle le peut être ? Je pourrais sanctifier mon ennui même et mon dégoût. Je pourrais m’en faire un moyen de pratiquer les plus excellentes vertus, la patience, la pénitence, la persévérance. Ce n’est pas un petit mérite devant Dieu, que de savoir s’ennuyer pour Dieu. Ce n’est pas une petite perfection, que d’avancer toujours, malgré l’ennui, dans la voie de la perfection. Ça a été le don des Saints, & ce n’est guère le mien. Dès qu’un exercice commence à me déplaire, ou je le laisse absolument, ou je ne m’en acquitte que très imparfaitement. Je me fais du dégoût où je suis, une raison de me relâcher : au lieu que je devrais, avec la grâce de Dieu qui m’éprouve dans ce & par ce dégoût, recueillir toute ma force & m’élever au-dessus de moi-même. Jamais David ne glorifia plus Dieu qu’en lui disant : Vous vous êtes retiré de moi, Seigneur, & moi je ne me suis point retiré de vous ni de vos commandements. (Psalm. 118) C’est là que je donnerais à Dieu plus de gloire. C’est là que j’amasserais des trésors infinis de mérites. »

 

« Des douleurs intérieures de Jésus-Christ dans sa Passion » : LA CRAINTE (3)

Méditation autour de la Passion

Père Louis Bourdaloue (1632-1704), Retraite spirituelle à l’usage des communautés religieuses, seconde méditation, Paris, transcription d’après l’édition des Libraires associés, 1753, pp. 323-329.

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« TROISIEME POINT. Un troisième sentiment dont le cœur de Jésus-Christ fut pressé & serré, c’est la crainte & la plus vive répugnance. Au milieu des ténèbres de la nuit qui l’environnaient & dans ce lieu désert où il s’était retiré, toute l’idée de sa passion lui vint à l’esprit, & se trouvant à la veille d’une mort si ignominieuse & si douloureuse, il s’en fit une image qui le saisit de frayeur. L’impression fut telle, que tous ses sens en furent troublés : & l’extrême répugnance qu’il sentit, le porta même à demander de ne point boire un calice aussi amer que celui qui lui était préparé : Mon Père, s’il est possible, détournez de moi ce calice. (Matth. c. 26.) Et sans doute n’est-il pas étonnant qu’à la vue de tant d’opprobres où il allait être exposé, & de tant de souffrances où son corps devait être livré, toute la nature se révoltât. Jamais combat intérieur ne dut être plus violent, et ne le fut en effet. Il en tomba dans une mortelle agonie, & il en fut tout couvert, depuis la tête jusques aux pieds, d’une sueur de sang. Mais tout cela ne se passait après tout que dans l’appétit sensible ; & sans égard aux révoltes de la nature, la volonté demeurait toujours également ferme & constante. Aussi dès le moment qu’il fallut en venir à l’exécution, & que ses ennemis approchèrent pour le prendre, il ne pensa point à fuir ni à se cacher. Au contraire il s’avança lui-même vers eux ; il leur déclara qui il était : C’est moi (Joan. c. 18), leur dit, que vous cherchez ; voici votre heure et l’empire des ténèbres. (Luc. c. 22.) Vous pouvez faire de ma personne tout ce qui est ordonné. Quel effroi tout ensemble & quel courage dans cet Homme Dieu ! Quelle consternation, & quelle résolution !

Quand il se présente une occasion où j’ai à me vaincre moi-même, je ne puis d’abord arrêter certains sentiments naturels qui s’élèvent dans mon cœur et certaines répugnances involontaires. N’est-ce pas surtout ce que l’on éprouve dans une retraite ? Il n’y a point surtout d’amitié si tiède et si endormie, qui ne se réveille en ce saint temps & ne se ranime. Dieu parle au cœur, la grâce éclaire l’esprit, on se reproche ses égarements, & l’on en découvre les principes. De là-même on voit de quels remèdes on devrait user, & ce qu’il y aurait à faire : on sent qu’on n’est pas à beaucoup près ce qu’on devrait être, & l’on reconnaît à quoi il tient qu’on ne le soit. Mais on craint de s’y engager & de l’entreprendre. On s’y propose des difficultés infinies, & l’on se défie sur cela de ses forces. On dispute avec soi-même ; mais tout le fruit de ces longs raisonnements est une incertitude où l’on ne conclut rien, & l’on ne se détermine à rien.

N'est-ce pas là peut-être l’état où je me trouve présentement ? En vain je voudrais me tromper & m’aveugler ; Dieu malgré moi ne me fait que trop connaître ce qu’il faudrait changer & réformer dans ma vie pour la rendre plus religieuse. Certains exemples que j’ai devant les yeux, les remords secrets de ma conscience, les avis de mes Supérieurs, les réflexions que j’ai faites dans le cours de ma retraite & que je fais encore, tout cela ne me permet pas d’ignorer  à quoi je devrais mettre ordre, & tout cela m’inspire assez de bonnes vues & de bons sentiments. Mais qu’est-ce qui m’arrête ? Ce qui m’a cent fois arrêté : une vaine peur & une timidité que je n’ai pas la force de surmonter, & qui me représente les choses comme insoutenables pour moi & comme impraticables. Ces fausses terreurs dont je me laisse préoccuper, vont même jusqu’à me faire imaginer mille raisons apparentes de différer de ne point aller tout d’un coup si avant ni si vite. Jésus-Christ ne différa ni ne délibéra point de la sorte. Était-il toutefois, au fond de son cœur, moins agité que moi ? Avait-il moins sujet de l’être ? Cette passion qu’il envisageait de si près, & dont il s’était si vivement retracé dans l’esprit toute l’horreur, devait-elle moins lui coûter, & avait-elle moins de quoi l’étonner ? ah, me laisserai-je toujours intimider & déconcerter aux moindres obstacles que ma faiblesse fait naître, & qu’elle augmente dans mon idée ? Ou si la crainte me prévient, n’apprendrai-je jamais à me raffermir contre ses premiers mouvements ; & jamais ne me dirai-je aussi résolument & aussi efficacement que le dit Jésus-Christ à ses Disciples : Levons-nous, & marchons ? (Matth. c. 26.)

CONCLUSION. Aimable Sauveur, c’est par votre sagesse & votre miséricorde infinie, que vous avez voulu paraître faible comme moi, & être sujet aux mêmes révoltes intérieures que moi, afin que votre exemple m’instruise et me fortifiât. Sans cela, ô mon Dieu, sans cette règle & ce soutien que je trouve en vous, où en serais-je à certains moments, & que deviendrais-je ? Vous voyez combien je suis différent de moi-même d’une heure à une autre, & de quelles vicissitudes je suis continuellement agité. Un jour mon âme est en paix, & même dans une sainte allégresse ; mes devoirs me plaisent, & je goûte le bonheur de mon état ; rien ne me fait peine, & il me semble qu’il n’y a point de victoire que je ne sois en disposition de remporter sur moi-même & sur toutes les passions de mon cœur. Mais dès le jour suivant, ce n’est plus moi. Mes exercices me sont à charge ; je m’en fais une fatigue, & j’y sens une opposition qui me les rend non seulement insipides, mais très pénibles. Ainsi toute ma vie n’est qu’un combat perpétuel, & qu’une variation, où il me semble que tout à tout deux esprits tout contraires me gouvernent.

Pourquoi, Seigneur, le permettez-vous ? Vous avez en cela, comme en tout le reste, vos desseins ; vous avez vos vues, & des vues du Salut pour moi & de sanctification. Vous voulez que je sois éprouvé comme vous l’avez été. Vous voulez que je pratique dans mon état les mêmes vertus, & que j’acquière par proportions les mêmes mérites. Vous voulez que j’endure le même martyre du cœur, & que je fasse le même sacrifice de toutes les douceurs de l’esprit & de toutes les consolations. Ainsi soit-il, mon Dieu, puisque c’est votre volonté. Il me serait trop aisé & trop doux de vous suivre, si j’y sentais le même attrait. Vous cependant, Seigneur, ne cessez point de me soutenir, non seulement de votre exemple, mais de la grâce qui l’accompagne. Que l’un & l’autre m’affermissent tellement dans vos voies, qu’il n’y ai ni tristesses, ni ennuis, ni craintes qui puissent m’en détourner. Que j’y marche toujours du même pas, quoi que ce ne soit pas toujours avec le même goût. Plus j’aurai à prendre sur moi pour y avancer, plus ma persévérance sera glorieuse, & plus vous lui préparerez de couronnes pour la récompenser. »

23/11/2021

23 novembre 1654 - La « Nuit de Feu » de Blaise Pascal

« Deum meum & Deum vestrum. Jean X, 17. »

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« Soumission totale à Jésus-Christ & à mon Directeur … »

 

« [Divers événements qui précèdent sa conversion] Mais il paraît bien que le Seigneur le poursuivait depuis longtemps, comme il l’avoua lui-même dans la suite. La providence disposa divers événements pour le détacher peu à peu de ce qui était l’objet de ses passions. Un jour de fête étant allé selon sa coutume, promener dans un carrosse à quatre ou six chevaux, au Pont de Neuilly, les deux premiers prirent le mords aux dents à un endroit du pont où il n’y avait point de garde-fou, et le précipitèrent dans la rivière. Comme leurs rênes se rompirent, le carrosse demeura sur le bord. Cet accident sur prendre à M. Pascal la résolution de rompre ces promenades et de mener une vie plus retirée. Mais il était nécessaire que Dieu lui ôtât cet amour vain des sciences, auquel il était revenu ; et ce fut pour cela sans doute, qu’il lui fit avoir une vision, dont il n’a jamais parlé à personne, si ce n’est peut-être à son confesseur. On n’en a eu connaissance qu’après sa mort, par un petit écrit de sa main, qui fut trouvé sur lui : voici ce qu’il contient et de quelle manière il est figuré. »

Recueil d’Utrecht, Composé de 17 pièces concernant les grandes personnalités de Port-Royal, Recueil de plusieurs pièces pour servir à l’histoire de Port-Royal ou Supplément aux mémoires de messieurs Fontaine, Lancelot et Du Fossé, 1740, p. 258)

 

 

 

 

14/07/2021

Quo Primum tempore : « Jamais et en aucun temps, qui que ce soit ne pourra les contraindre et les forcer à laisser ce missel »

 

Prions. Comme nous l’avons appris du Sauveur, et selon Son divin commandement, nous osons dire : « Notre Père, Qui êtes aux cieux, que Votre Nom soit sanctifié, Que Votre Règne arrive, Que votre volonté soit faite sur la terre comme au Ciel. Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour. Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laissez pas succomber à la tentation. Mais délivrez-nous du Mal. AMEN + »

(Traduction issue de la Vulgate, insérée par Saint Pie V dans l’Ordo Missae de l’Église latine le 14 juillet 1570, ceci ayant été arrêté, défini et promulgué, par publication de la bulle Quo Primum tempore, celle-ci étant décrétée « valable à perpétuité »)

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Bulle Quo Primum tempore du 14 juillet 1570

Organisant définitivement la célébration du Saint Sacrifice de la Messe

Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 14 juillet 1570

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Pie, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, pour Mémoire à la Postérité.

Dès le premier instant de Notre élévation au sommet de la Hiérarchie Apostolique, Nous avons tourné avec amour Notre esprit et Nos forces et dirigé toutes Nos pensées vers ce qui était de nature à conserver la pureté du culte de l'Église, et, avec l'aide de Dieu Lui-même, Nous nous sommes efforcé de le réaliser en plénitude, en y apportant tout Notre soin.

Comme parmi d'autres décisions du saint Concile de Trente, il nous incombait de décider de l'édition et de la réforme des livres sacrés, le Catéchisme, le Bréviaire et le Missel ; après avoir déjà, grâce à Dieu, édité le Catéchisme pour l'instruction du peuple, et pour qu'à Dieu soient rendues les louanges qui Lui sont dues, corrigé complètement le Bréviaire, pour que le Missel répondît au Bréviaire, ce qui est convenable et normal puisqu'il sied qu'il n'y ait dans l'Église de Dieu qu'une seule façon de psalmodier et un seul rite pour célébrer la Messe, il Nous apparaissait désormais nécessaire de penser le plus tôt possible à ce qui restait à faire dans ce domaine, à savoir : éditer le Missel lui-même.

C'est pourquoi Nous avons estimé devoir confier cette charge à des savants choisis ; et, de fait, ce sont eux qui, après avoir soigneusement rassemblé tous les manuscrits, non seulement les anciens de Notre Bibliothèque Vaticane, mais aussi d'autres recherchés de tous les côtés, corrigés et exempts d'altération, ainsi que les décisions des Anciens et les écrits d'auteurs estimés qui nous ont laissé des documents relatifs à l'organisation de ces mêmes rites, ont rétabli le Missel lui-même conformément à la règle antique et aux rites des Saints-Pères.

Une fois celui-ci révisé et corrigé, après mûre réflexion, afin que tous profitent de cette disposition et du travail que Nous avons entrepris, Nous avons ordonné qu'il fût imprimé à Rome le plus tôt possible, et qu'une fois imprimé, il fût publié, afin que les prêtres sachent quelles prières ils doivent utiliser, quels sont les rites et quelles sont les cérémonies qu'ils doivent conserver dorénavant dans la célébration des Messes.

Pour que tous accueillent partout et observent ce qui leur a été transmis par l'Église romaine, Mère et Maîtresse de toutes les autres Églises, et pour que par la suite et dans les temps à venir dans toutes les églises, patriarcales, cathédrales, collégiales et paroissiales de toutes les provinces de la Chrétienté, séculières ou de n'importe quels Ordres monastiques, tant d'hommes que de femmes, même d'Ordres militaires réguliers, et dans les églises et chapelles sans charge d'âmes dans lesquelles la célébration de la messe conventuelle à haute voix avec le Chœur, ou à voix basse selon le rite de l'Église romaine est de coutume ou d'obligation, on ne chante ou ne récite d'autres formules que celle conforme au Missel que Nous avons publié, même si ces églises ont obtenu une dispense quelconque, par un indult du Siège Apostolique, par le fait d'une coutume, d'un privilège ou même d'un serment, ou par une confirmation apostolique, ou sont dotées d'autres permissions quelconques ; à moins que depuis la première institution approuvée par le Siège Apostolique ou en vertu de la coutume, cette dernière ou l'institution elle-même aient été observées dans ces mêmes églises depuis deux cents ans au moins, d'une façon continue, pour la célébration des messes. Dans ce cas, Nous ne supprimons aucunement à ces églises leur institution ou coutume de célébrer la messe ; mais si ce Missel que Nous avons fait publier leur plaisait davantage, de l'avis de l'Évêque ou du Prélat, ou de l'ensemble du Chapitre, Nous permettons que, sans que quoi que ce soit y fasse obstacle, elles puissent célébrer la messe suivant celui-ci.

Par Notre présente constitution, qui est valable à perpétuité, Nous avons décidé et Nous ordonnons, sous peine de Notre malédiction, que pour toutes les autres églises précitées l’usage de leurs missels propres soit retiré et absolument et totalement rejeté, et que jamais rien ne soit ajouté, retranché ou modifié à Notre missel, que nous venons d’éditer.

Nous avons décidé rigoureusement pour l'ensemble et pour chacune des églises énumérées ci-dessus, pour les Patriarches, les Administrateurs et pour toutes autres personnes revêtues de quelque dignité ecclésiastique, fussent-ils même Cardinaux de la Sainte Église romaine ou eussent-ils tout autre grade ou prééminence quelconque, qu'ils devront, en vertu de la sainte obéissance, abandonner à l'avenir et rejeter entièrement tous les autres principes et rites, si anciens soient-ils, provenant des autres missels dont ils avaient jusqu'ici l'habitude de se servir, et qu'ils devront chanter ou dire la Messe suivant le rite, la manière et la règle que Nous enseignons par ce Missel et qu'ils ne pourront se permettre d'ajouter, dans la célébration de la Messe, d'autres cérémonies ou de réciter d'autres prières que celles contenues dans ce Missel.

Et même par les dispositions des présentes et au nom de notre autorité apostolique, Nous concédons et accordons que ce même missel pourra être suivi en totalité dans la messe chantée ou lue, dans quelque église que ce soit, sans aucun scrupule de conscience et sans encourir aucune punition, condamnation ou censure, et qu’on pourra valablement l’utiliser librement et licitement, et cela à perpétuité.

Et, d’une façon analogue, Nous avons décidé et déclarons que les supérieurs, administrateurs, chapelains et autres prêtres de quelque nom qu’ils seront désignés, ou les religieux de n’importe quel ordre, ne peuvent être tenus de célébrer la messe autrement que nous l’avons fixée, et que jamais et en aucun temps qui que ce soit ne pourra les contraindre et les forcer à laisser ce missel ou à abroger la présente instruction ou la modifier, mais qu’elle demeurera toujours en vigueur et valide, dans toute sa force, nonobstant les décisions antérieures et les constitutions et ordonnances apostoliques, et les constitutions générales ou spéciales émanant de conciles provinciaux et généraux, pas plus que l’usage des églises précitées confirmé par une prescription très ancienne et immémoriale, mais ne remontant pas à plus de deux cents ans, ni les décisions ou coutumes contraires, quelles qu’elles soient.

Nous voulons, au contraire, et Nous le décrétons avec la même autorité, qu'après la publication de Notre présente Constitution, ainsi que du Missel, tous les prêtres qui sont présents dans la Curie romaine soient tenus de chanter ou de dire la Messe selon ce Missel dans un délai d'un mois : ceux qui sont de ce côté des Alpes, au bout de trois mois : et enfin, ceux qui habitent de l'autre côté des montagnes, au bout de six mois ou dès que celui-ci leur sera offert à acheter.

Et pour qu'en tout lieu de la Terre il soit conservé sans corruption et exempt de fautes et d'erreurs, Nous interdisons par Notre autorité apostolique et par le contenu d'instructions semblables à la présente, à tous les imprimeurs domiciliés dans le domaine soumis directement ou indirectement à Notre autorité et à la sainte Église romaine, sous peine de confiscation des livres et d'une amende de deux cents ducats d'or à payer au Trésor Apostolique, et aux autres, domiciliés en quelque lieu du monde, sous peine d'excommunication et d'autres sanctions en Notre pouvoir, de se permettre en aucune manière ou de s'arroger le droit de l'imprimer ou de l'offrir, ou de l'accepter sans Notre permission ou une permission spéciale d'un Commissaire Apostolique qui doit être chargé par Nous de ce soin, et sans que ce Commissaire n'ait comparé avec le Missel imprimé à Rome, suivant la grande impression, un original destiné au même imprimeur pour lui servir de modèle pour ceux que ledit imprimeur doit imprimer, ni sans qu'on n'ait préalablement bien établi qu'il concorde avec ledit Missel et ne présente absolument aucune divergence par rapport à celui-ci.

Cependant, comme il serait difficile de transmettre la présente lettre en tous lieux de la Chrétienté et de la porter tout de suite à la connaissance de tous, Nous ordonnons de la publier et de l'afficher, suivant l'usage, à la Basilique du Prince des Apôtres et à la Chancellerie Apostolique, ainsi que sur le Champ de Flore, et d'imprimer aussi des exemplaires de cette même lettre signés de la main d'un notaire public et munis du sceau d'une personnalité revêtue d'une dignité ecclésiastique, auxquels on devra partout, chez tous les peuples et en tous lieux, accorder la même confiance absolument exempte de doute que si l'on montrait ou exposait la présente.

Qu’absolument personne, donc, ne puisse déroger à cette page qui exprime Notre permission, Notre décision, Notre ordonnance, Notre commandement, Notre précepte, Notre concession, Notre indult, Notre déclaration, Notre décret et Notre interdiction, ou n’ose témérairement aller à l’encontre de ses dispositions.

Si cependant quelqu’un se permettait une telle altération, qu’il sache qu’il encourrait l’indignation de Dieu tout-puissant et de ses bienheureux apôtres Pierre et Paul.

 

Donné à Rome, à Saint-Pierre, l'an mil cinq cent soixante dix de l'Incarnation du Seigneur, la veille des Ides de Juillet, en la cinquième année de Notre Pontificat.

Pie V, Pape


« Tradidi vobis quod et accepi »

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24/12/2020

« Les rameaux du palmier protecteur, du juste Joseph, ombrageant la plus pure des vierges, ont servi de voile à l’œuvre créatrice de l’Esprit saint »

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« Le Verbe s’est fait chair, et Satan l’ignore »

 

« Mais voici que neuf mois après l’Incarnation, par une nuit étoilée, au-dessus d’une petite bourgade de Judée, retentit ce chant céleste : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! C’est la naissance temporelle du Fils de Dieu qui est annoncée et chantée par les anges. Satan prête l’oreille, il regarde, il aperçoit de pauvres bergers se redisant l’un à l’autre l’annonce angélique : Aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Anxieux, il les suit : « Serait-ce le Fils de Dieu qui vient d’apparaître ? » Le voici devant l’étable de Bethléem. Qu’aperçoit-il ? Dans une crèche, entre deux animaux, un enfant petit de taille, ayant besoin du secours des autres, ne pouvant ni parler ni agir, un enfant qui n’est en rien différent de ce qui caractérise en général les autres enfants. Satan se dit : « C’est bien à Bethléem que, d’après la prophétie de Michée, le Christ doit naître ; c’est aussi sous la forme d’un petit enfant que, d’après Isaïe, il doit apparaître. Mais si petit soit-il, sa divinité ne saurait manquer de resplendir de quelque manière. » Et le voilà qui examine. Or, dans la pauvre crèche, pas le moindre vestige de divinité. Au contraire, rien que des signes de faiblesse, rien que des infirmités corporelles :

Jésus pleure, il grelotte, il est emmailloté. « Impossible, se dit Satan, que sous des dehors si humiliants le vrai et unique Fils de Dieu puisse se trouver ! »

Abbé Augustin Lémann (1836-1909), Satan contre  Jésus.

 


 

16/10/2020

Le 16 octobre 1793 à midi

«  (…) dans le bonheur, on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami. Et où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille ? Que mon fils n’oublie jamais les derniers mots de son père, que je lui répète expressément : qu’il ne cherche jamais à venger notre mort. »

«  Absolve, Domine, animas omnium fidelium defunctorum ab omni vinculo delictorum et gratia tua illis succurente mereantur evadere judicium ultionis, et lucis æterne beatitudine perfrui. Amen.  »

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ce 16 8bre à 4 h ½ du matin

C’est à vous, ma Sœur, que j’écris pour la dernière fois. Je viens d’être condamnée non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère ; comme lui innocente, j’espère montrer la même fermeté que lui dans ces derniers moments. Je suis calme comme on l’est quand la consience[sic] ne reproche rien, j’ai un profond regret d’abandonner mes pauvres enfants ; vous savez que je n’existois que pour eux, et vous, ma bonne et tendre Sœur : vous qui avez par votre amitié tout sacrifié pour être avec nous ; dans quelle position je vous laisse ! J’ai appris par le plaidoyer même du procès que ma fille étoit séparée de vous. Hélas ! la pauvre enfant, je n’ose pas lui écrire, elle ne recevroit pas ma lettre je ne sais même pas si celle-ci vous parviendra, recevez pour eux deux ici, ma bénédiction. J’espère qu’un jour, lorsqu’ils seront plus grands, ils pourront se réunir avec vous, et jouir en entier de vos tendres soins. Qu’ils pensent tous deux à ce que je n’ai cessé de leur inspirer, que les principes, et l’exécution exacte de ses devoirs sont la première base de la vie ; que leur amitié et leur confiance mutuelle, en feront le bonheur ; que ma fille sente qu’à l’âge qu’elle a, elle doit toujours aider son frère pour les conseils que [rature] l’expérience qu’elle aura de plus que lui et son amitié pourront lui inspirer ; que mon fils à son tour, rende à sa sœur, tous les soins, les services que l’amitié peut inspirer ; qu’ils sentent enfin tous deux que, dans quelque position où ils pourront se trouver, ils ne seront vraiment heureux que par leur union. Qu’ils prennent exemple de nous, combien dans nos malheurs, notre amitié nous a donné de consolations, et dans le bonheur on jouit doublement quand on peut le partager avec un ami ; et où en trouver de plus tendre, de plus cher que dans sa propre famille ? Que mon fils n’oublie jamais les derniers mots de son père, que je lui répète expressément : qu’il ne cherche jamais à venger notre mort. J’ai à vous parler d’une chose bien pénible à mon cœur. Je sais combien cet enfant, doit vous avoir fait de la peine ; pardonnez-lui, ma chère Sœur ; pensez à l’âge qu’il a, et combien il est facile de faire dire a un enfant ce qu’on veut, et même ce qu’il ne comprend pas, un jour viendra, j’espère, où il ne sentira que mieux tout le prix de vos bontés et de votre tendresse pour tous deux il me reste à vous confier encore mes dernières pensées. J’aurois voulu les écrire dès le commencement du procès ; mais, outre qu’on ne me laissoit pas écrire, la marche en a été si rapide, que je n’en aurois réellement pas eu le tem.

Je meurs dans la religion catholique, apostolique et romaine, dans celle de mes pères, dans celle où j’ai été élevée, et que j’ai toujours professée, n’ayant aucune consolation spirituelle à attendre, ne sachant pas s’il existe encore ici des prêtres de cette religion, et même le lieu où je suis les exposeroit trop, si ils y entroient une fois. Je demande sincèrement pardon à Dieu de toutes les fautes que j’ai pu commettre depuis que j’existe. J’espère que dans sa bonté il voudra bien recevoir mes derniers vœux, ainsi que ceux que je fais depuis longtems pour qu’il veuille bien recevoir mon âme dans sa miséricorde et sa bonté. Je demande pardon à tout ceux que je connois, et à vous, ma Sœur, en particulier, de toutes les peines que, sans le vouloir, j’aurois pu vous causer. Je pardonne à tous mes ennemis le mal qu’ils m’ont fait. Je dis ici adieu à mes tantes et à tous mes frères et sœurs. J’avois des amis, l’idée d’en être séparée pour jamais et leurs peines sont un des plus grands regrets que j’emporte en mourant, qu’ils sachent, du moins, que jusqu’à mon dernier moment, j’ai pensé à eux. Adieu, ma bonne et tendre Sœur ; puisse cette lettre vous arriver ! pensez toujours à moi ; je vous embrasse de tout mon cœur, ainsi que ces pauvres et chers enfants ; mon Dieu ! qu’il est déchirant de les quitter pour toujours. Adieu, adieu ! je ne vais plus m’occuper que de mes devoirs spirituels. Comme je ne suis pas libre dans mes actions, on m’amènera peut-être, un prêtre, mais je proteste ici que je ne lui dirai pas un mot, et que je le traiterai comme un être absolument étranger.

 

(Lettre adressée par le Reine Marie-Antoinette à Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI, le 16 octobre 1793 à 4h30)

 

 

28/04/2020

"LETTRE CIRCULAIRE AUX AMIS DE LA CROIX" de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort (31 janvier 1673 - 28 avril 1716)

« Vous êtes unis ensemble, Amis de la Croix, comme autant de soldats crucifiés, pour combattre le monde. »

« Que l’Esprit donc du Dieu vivant soit comme la vie, la force et la teneur de cette lettre ; que son onction soit comme l’encre de mon écritoire ; que la divine Croix soit ma plume, et que votre cœur soit mon papier ! »

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1. Puisque la divine Croix me cache et m’interdit la parole, il ne m’est pas possible, et je ne désire pas même de vous parler, pour vous ouvrir les sentiments de mon cœur sur l’excellence et les pratiques divines de votre union dans la Croix adorable de Jésus-Christ. Cependant, aujourd’hui, dernier jour de ma retraite, je sors, pour ainsi dire, de l’attrait de mon intérieur, afin de former sur ce papier quelques légers traits de la Croix, pour en percer vos bons cœurs. Plût à Dieu qu’il ne fallût, pour les aiguiser, que le sang de mes veines, au lieu de l’encre de ma plume ! Mais, hélas ! Quand il serait nécessaire, il est trop criminel. Que l’Esprit donc du Dieu vivant soit comme la vie, la force et la teneur de cette lettre ; que son onction soit comme l’encre de mon écritoire ; que la divine Croix soit ma plume, et que votre cœur soit mon papier !

[I. EXCELLENCE DE L’UNION DES AMIS DE LA CROIX]

2. Vous êtes unis ensemble, Amis de la Croix, comme autant de soldats crucifiés, pour combattre le monde ; non en fuyant comme les religieux et les religieuses, de peur d’être vaincus ; mais comme de vaillants et braves guerriers sur le champ de bataille, sans lâcher le pied et sans tourner le dos. Courage ! Combattez vaillamment ! Unissez-vous fortement de l’union des esprits et des cœurs, infiniment plus forte et plus terrible au monde et à l’enfer que ne le sont aux ennemis de l’État les forces extérieures d’un royaume bien uni. Les démons s’unissent pour vous perdre, unissez-vous pour les terrasser. Les avares s’unissent pour trafiquer et gagner de l’or et de l’argent, unissez-vous pour conquérir les trésors de l’éternité, renfermés dans la Croix. Les libertins s’unissent pour se divertir ; unissez-vous pour souffrir.

[A. GRANDEUR DU NOM D’AMI DE LA CROIX]

3. Vous vous appelez “Amis de la Croix”. Que ce nom est grand ! Je vous avoue que j’en suis charmé et ébloui. Il est plus brillant que le soleil, plus élevé que les cieux, plus glorieux et plus pompeux que les titres les plus magnifiques des rois et des empereurs. C’est le grand nom de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme tout ensemble : c’est le nom sans équivoque d’un chrétien.

4. Mais, si je suis ravi de son éclat, je ne suis pas moins épouvanté de son poids. Que d’obligations indispensables et difficiles renfermées en ce nom et exprimées par ces paroles du Saint-Esprit : “Genus electum, regale sacerdotium, gens sancta, populus aquisitionis”. Un Ami de la Croix est un homme choisi de Dieu, entre dix mille qui vivent selon les sens et la seule raison, pour être un homme tout divin, élevé au-dessus de la raison, et tout opposé aux sens par une vie et une lumière de pure foi et un amour ardent pour la Croix. Un Ami de la Croix est un roi tout-puissant, et un héros triomphant du démon, du monde et de la chair dans leurs trois concupiscences. Par l’amour des humiliations, il terrasse l’orgueil de Satan ; par l’amour de la pauvreté, il triomphe de l’avarice du monde ; par l’amour de la douleur, il amortit la sensualité de la chair. Un Ami de la Croix est un homme saint et séparé de tout le visible, dont le cœur est élevé au-dessus de tout ce qui est caduc et périssable, et dont la conversation est dans les cieux, qui passe sur la terre comme un étranger et un pèlerin et qui, sans y donner son cœur, la regarde de l’œil gauche avec indifférence, et la foule de ses pieds avec mépris. Un Ami de la Croix est une illustre conquête de Jésus- Christ crucifié sur le Calvaire, en union de sa sainte Mère ; c’est un Benoni ou Benjamin, fils de la douleur et de la droite, enfanté dans son cœur douloureux, venu au monde par son côté droit percé, et tout empourpré de son sang. Tenant de son extraction sanglante, il ne respire que croix, que sang et que mort au monde, à la chair et au péché, pour être tout caché ici-bas avec Jésus-Christ en Dieu. Enfin, un parfait Ami de la Croix est un vrai porte-Christ ou plutôt un Jésus-Christ, en sorte qu’il peut dire avec vérité : “Vivo, jam non ego, vivit vero in me Christus : Je vis ; non, je ne vis plus, mais Jésus-Christ vit en moi”.

5. Etes-vous par vos actions, mes chers Amis de la Croix, tels que votre grand nom signifie ? Ou du moins avez-vous un vrai désir et une volonté véritable de le devenir avec la grâce de Dieu, à l’ombre de la Croix du Calvaire et de Notre- Dame de Pitié ? Prenez-vous les moyens nécessaires pour cet effet ? Etes-vous entrés dans la vraie voie de la vie, qui est la voie étroite et épineuse du Calvaire ? N’êtes-vous pas, sans y penser, dans la voie large du monde, qui est la voie de la perdition ? Savez-vous bien qu’il y a une voie qui paraît droite et sûre à l’homme, et qui conduit à la mort ?

6. Distinguez-vous bien la voix de Dieu et de sa grâce d’avec celle du monde et de la nature ? Entendez-vous bien la voix de Dieu notre bon Père qui, après avoir donné sa triple malédiction à tous ceux qui suivent les concupiscences du monde : “væ, væ, væ habitantibus in terra”, vous crie amoureusement, en vous tendant les bras : “Separamini, popule meus” : Séparez-vous, mon peuple choisi, chers Amis de la Croix de mon Fils ; séparez-vous des mondains, maudits de ma Majesté, excommuniés de mon Fils et condamnés de mon Saint-Esprit. Prenez garde de vous asseoir dans leur chaire tout empestée, n’allez point dans leurs conseils, ne vous arrêtez pas même dans leur chemin. Fuyez du milieu de la grande et infâme Babylone ; n’écoutez que la voix et ne suivez que les traces de mon Fils bien-aimé, que je vous ai donné pour être votre voie, votre vérité, votre vie et votre modèle : “Ipsum audite”. L’écoutez-vous, cet aimable Jésus, qui vous crie, chargé de sa Croix : “Venite post me : venez après moi” ; celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres ; “confidite, ego vinci mundum : confiez-vous, j’ai vaincu le monde ?”

[B. LES DEUX PARTIS]

7. Voilà, mes chers Confrères, voilà deux partis qui se présentent tous les jours : celui de Jésus-Christ et celui du monde. Celui de notre aimable Sauveur est à droite, en montant, dans un chemin étroit et rétréci plus que jamais par la corruption du monde. Ce bon Maître y est en tête, marchant pieds nus, la tête couronnée d’épines, le corps tout ensanglanté, et chargé d’une lourde Croix. Il n’y a qu’une poignée de gens, mais des plus vaillants, à le suivre, parce qu’on n’entend pas sa voix si délicate au milieu du tumulte du monde ; ou on n’a pas le courage de le suivre dans sa pauvreté, ses douleurs, ses humiliations et ses autres croix qu’il faut nécessairement porter à son service tous les jours de la vie.

8. A gauche est le parti du monde ou du démon, lequel est le plus nombreux, le plus magnifique et le plus brillant, du moins en apparence. Tout le plus beau monde y court ; on y fait presse, quoique les chemins soient larges, et plus élargis que jamais par la multitude qui y passe comme des torrents ; ils sont jonchés de fleurs, bordés de plaisirs et de jeux, couverts d’or et d’argent.

9. A droite, le petit troupeau qui suit Jésus-Christ ne parle que de larmes, de pénitences, d’oraisons et de mépris du monde ; on entend continuellement ces paroles entrecoupées de sanglots : "Souffrons, pleurons, jeûnons, prions, cachons-nous, humilions-nous, appauvrissons-nous, mortifions-nous ; car celui qui n’a pas l’esprit de Jésus-Christ, qui est un esprit de croix, n’est point à lui ; ceux qui sont à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec leurs concupiscences ; il faut être conforme à l’image de Jésus-Christ ou être damné. Courage ! s’écrient-ils, courage ! Si Dieu est pour nous, en nous et devant nous, qui sera contre nous ? Celui qui est en nous est plus fort que celui qui est dans le monde. Le serviteur n’est pas plus que le maître. Un moment d’une légère tribulation produit un poids éternel de gloire. Il y a moins d’élus qu’on ne pense. Il n’y a que des courageux et violents qui ravissent le ciel de vive force ; personne n’y sera couronné que celui qui aura combattu légitimement selon l’Evangile, et non pas selon la mode. Combattons donc avec force, courons bien vite afin que nous atteignions le but, afin que nous gagnions la couronne !”Voilà une partie des paroles divines dont les Amis de la Croix s’animent mutuellement.

10. Les mondains, au contraire, pour s’animer à persévérer dans leur malice sans scrupule, crient tous les jours : “La vie, la vie ! la paix, la paix ! la joie, la joie ! Mangeons, buvons, chantons, dansons, jouons ! Dieu est bon, Dieu ne nous a pas faits pour nous damner ; Dieu ne défend pas de se divertir ; nous ne serons pas damnés pour cela ; point de scrupule ! non moriemini, etc.”

11. Souvenez-vous, mes chers Confrères, que notre bon Jésus vous regarde à présent, et vous dit à chacun en particulier : “Voilà que quasi tout le monde m’abandonne dans le chemin royal de la Croix. Les idolâtres aveugles se moquent de ma Croix comme d’une folie, les Juifs obstinés s’en scandalisent comme d’un objet d’horreur ; les hérétiques la brisent et l’abattent comme une chose digne de mépris. Mais, ce que je ne puis dire que les larmes aux yeux et le cœur percé de douleur, mes enfants que j’ai élevés dans mon sein et que j’ai instruits en mon école, mes membres que j’ai animés de mon esprit, m’ont abandonné et méprisé, en devenant les ennemis de ma Croix ! - Numquid et vos vultis abire ? Voulez-vous point aussi, vous autres, m’abandonner, en fuyant ma Croix, comme les mondains, qui sont en cela autant d’antéchrists : antichristi multi ? Voulez-vous, afin de vous conformer à ce siècle présent, mépriser la pauvreté de ma Croix, pour courir après les richesses ; éviter la douleur de ma Croix, pour rechercher les plaisirs, haïr les humiliations de ma Croix, pour ambitionner les honneurs ? J’ai beaucoup d’amis en apparence, qui protestent qu’ils m’aiment et qui, dans le fond, me haïssent, parce qu’ils n’aiment pas ma Croix ; beaucoup d’amis de ma table, et très peu de ma Croix.”

12. A cet appel amoureux de Jésus, élevons-nous au-dessus de nous-mêmes ; ne nous laissons pas séduire par nos sens, comme Eve ; ne regardons que l’auteur et le consommateur de notre foi, Jésus crucifié ; fuyons la corruption de la concupiscence du monde corrompu ; aimons Jésus-Christ de la belle manière, c’est-à-dire au travers de toutes sortes de croix. Méditons bien ces admirables paroles de notre aimable Maître, qui renferment tout la perfection de la vie chrétienne : “Si quis vult venire post me, abneget semetipsun, et tollat crucem suam, et sequatur me !”

[II. PRATIQUES DE LA PERFECTION CHRETIENNE]

13. Toute la perfection chrétienne, en effet, consiste : 1 à vouloir devenir un saint : “Si quelqu’un veut venir après moi” ; 2 à s’abstenir : “qu’il renonce à soi-même” ; 3 à souffrir : “qu’il porte sa croix” ; 4 à agir : “et qu’il me suive” !

[A. «SI QUELQU’UN VEUT VENIR APRES MOI »]

14. “Si quis”, si quelqu’un ; “quelqu’un”, et non pas “quelques-uns”, pour marquer le petit nombre des élus qui veulent se conformer à Jésus-Christ crucifié, en portant leur croix. Il est si petit, si petit, que, si nous le connaissions, nous nous en pâmerions de douleur. Il est si petit, qu’à peine parmi dix mille y en a-t-il un, comme il a été révélé à plusieurs saints, entre autres à saint Siméon Stylite, selon que le rapporte le saint abbé Nil, après saint Ephrem et quelques autres. Il est si petit, que, si Dieu voulait les assembler, il leur crierait, comme il fit autrefois par la bouche d’un prophète : “Congregamini unus et unus”, assemblez-vous un à un, un de cette province, un de ce royaume.

15. “Si quis vult”, si quelqu’un a une vraie volonté, une volonté entière et déterminée, non par la nature, la coutume, l’amour-propre, l’intérêt ou le respect humain, mais par une grâce toute victorieuse du Saint-Esprit, qui ne se donne pas à tout le monde : “non omnibus datum est nosse mysterium”. La connaissance du mystère de la Croix, dans la pratique, n’est donnée qu’à peu de gens. Il faut qu’un homme, pour monter sur le Calvaire et s’y laisser mettre en croix avec Jésus, au milieu de son propre pays, soit un courageux, un héros, un déterminé, un homme élevé en Dieu, qui fasse litière du monde et de l’enfer, de son corps et de sa propre volonté, un déterminé à tout quitter, à tout entreprendre et tout souffrir pour Jésus-Christ. Sachez, chers Amis de la Croix, que ceux parmi vous qui n’ont pas cette détermination ne marchent que d’un pied, ne volent que d’une aile, et ne sont pas dignes d’être parmi vous, parce qu’ils ne sont pas dignes d’être nommés Amis de la Croix, qu’il faut aimer avec Jésus-Christ “corde magno et animo volenti”. Il ne faut qu’une demi-volonté de cette manière pour gâter tout le troupeau, comme une brebis galeuse. S’il y en a déjà quelqu’une entrée, par la mauvaise porte du monde, dans votre bergerie, au nom de Jésus-Christ crucifié, qu’on la chasse comme une louve entrée parmi les brebis !

16. “Si quis vult post me venire”, si quelqu’un veut venir après moi, qui me suis si humilié et si anéanti, que je suis devenu plutôt un vermisseau qu’un homme, “ego sum vermis et non homo” ; après moi qui ne suis venu au monde que pour enbrasser la Croix : “ecce venio : ; que pour la placer au milieu de mon cœur, “in medio cordis” ; que pour l’aimer dès ma jeunesse, “hanc amavi a juventute mea” ; que pour soupirer après elle pendant ma vie, “quomodo coarctor ?” ; que pour la porter avec joie en la préférant à toutes les joies et les délices du ciel et de la terre, “proposito sibi gaudio, sustinuit crucem”, et enfin qui n’ai été content que lorsque je suis mort dans ses divins embrassements.

[B. «QU’IL RENONCE A SOI-MEME »]

17. Si quelqu’un donc veut venir après moi ainsi anéanti et crucifié, qu’il ne se glorifie comme moi que dans la pauvreté, les humiliations et les douleurs de ma Croix : “abneget semetipsum”, qu’il renonce à soi-même ! Loin de la compagnie des Amis de la Croix ces souffrants orgueilleux, ces sages du siècle, ces grands génies et ces esprits forts, qui sont entêtés et bouffis de leurs lumières et de leurs talents ! Loin d’ici ces grands babillards, qui font grand bruit et point d’autre fruit que celui de la vanité ! Loin d’ici ces dévots orgueilleux qui portent partout le quant-à-moi de l’orgueilleux Lucifer, “non sum sicut ceteri”, qui ne peuvent souffrir qu’on les blâme sans s’excuser, qu’on les attaque sans se défendre, et qu’on les abaisse sans se relever. Prenez bien garde d’admettre en votre compagnie de ces délicats et sensuels qui craignent la moindre piqûre, et qui s’écrient et se plaignent à la moindre douleur, qui n’ont jamais goûté de la haire, du cilice et de la discipline, et des autres instruments de pénitence et qui, parmi leurs dévotions à la mode, mêlent une délicatesse et une immortification la plus plâtrée et la plus raffinée.

[C. «QU’IL PORTE SA CROIX »]

18. “Tollat crucem suam”. qu’il porte sa croix ; “suam”, la sienne ! Que celui-là, que cet homme, que cette femme rare, “de ultimis finibus pretium ejus”, que toute la terre d’un bout à l’autre ne saurait payer, prenne avec joie, embrasse avec ardeur, et porte sur ses épaules avec courage sa croix, et non pas celle d’un autre : - sa croix que par ma sagesse, je lui ai faite avec nombre, poids et mesure ; - sa croix, à laquelle j’ai, de ma propre main, mis ses quatre dimensions, dans une grande justesse, savoir : son épaisseur, sa longueur, sa largeur et sa profondeur ; - sa croix que je lui ai taillée d’une partie de celle que j’ai portée sur le Calvaire, par un effet de la bonté infinie que je lui porte ; - sa croix, composée en épaisseur, des pertes de biens, des douleurs, des maladies et des peines spirituelles qui doivent, par ma providence, lui arriver chaque jour jusqu’à sa mort ; - sa croix, composée en sa longueur d’une certaine durée de mois ou de jours qu’il doit être accablé de la calomnie, être étendu sur un lit, être réduit à l’aumône, et être en proie aux tentations, aux sécheresses, abandons et autres peines d’esprit ; - sa croix, composée en sa largeur de toutes les circonstances les plus dures et les plus amères, soit de la part de ses amis, de ses domestiques, de ses parents ; - sa croix, enfin, composée en sa profondeur des peines les plus cachées dont je l’affligerai, sans qu’il puisse trouver de consolation dans les créatures qui même, par mon ordre, lui tourneront le dos et s’uniront avec moi pour le faire souffrir.

19. “Tollat”, qu’il la porte ! Et non pas qu’il la traîne, et non pas qu’il la secoue, et mon pas qu’il la retranche, et non pas qu’il la cache ! C’est-à-dire : qu’il la porte haute à la main, sans impatience ni chagrin, sans plainte ni murmure volontaire, sans partage et sans ménagement naturel, sans honte et sans respect humain. “Tollat”, qu’il la place sur son front, en disant avec saint Paul : “Mihi absit gloriari nisi in cruce Domini nostri Jesu Christi !” A Dieu ne plaise que je prenne ma gloire en autre chose que la Croix de Jésus-Christ, mon Maître ! Qu’il la porte sur ses épaules à l’exemple de Jésus- Christ, afin que cette croix devienne l’arme de ses conquêtes et le sceptre de son empire : “(imperium) principatus (ejus) super humerum ejus”. Enfin, qu’il la mette dans son cœur par l’amour, pour la rendre un buisson ardent qui brûle jour et nuit du pur amour de Dieu sans se consumer.

20. “Crucem”, la croix ; qu’il la porte, puisqu’il n’y a rien de si nécessaire, de si utile et de si doux, ni de si glorieux que de souffrir quelque chose pour Jésus-Christ.

[1. «RIEN DE SI NECESSAIRE »]

[Pour des pécheurs !]

21. En effet, chers Amis de la Croix, vous êtes tous pécheurs ; il n’y en a pas un parmi vous qui ne mérite l’enfer, et moi plus que personne. Il faut que nos péchés soient punis en ce monde ou dans l’autre ; s’ils le sont en celui-ci, ils ne le seront pas dans l’autre. Si Dieu les punit en celui-ci de concert avec nous, la punition sera amoureuse : ce sera la miséricorde, qui règne en ce monde, qui châtiera, et non la justice rigoureuse ; le châtiment sera léger et passager, accompagné de douceurs et de mérites, suivi de récompenses dans le temps et l’éternité.

22. Mais si le châtiment nécessaire aux péchés que nous avons commis est réservé dans l’autre monde, ce sera la justice vengeresse de Dieu, qui met tout à feu et à sang, qui fera le châtiment ! Châtiment épouvantable, “horrendum”, ineffable, incompréhensible : “quis novit potestatem irae tuæ ?” Châtiment sans miséricorde, “judicium sine misericordia”, sans pitié, sans soulagement, sans mérites, sans bornes et sans fin. Oui, sans fin, ce péché mortel d’un moment que vous avez fait, cette pensée mauvaise et volontaire qui a échappé à votre connaissance, cette parole que le vent a emportée, cette petite action contre la loi de Dieu, qui a si peu duré, sera punie une éternité, tant que Dieu sera Dieu, avec les démons dans les enfers, sans que ce Dieu des vengeances ait pitié de vos effroyables tourments, de vos sanglots et vos larmes capables de fendre les rochers ! A jamais souffrir, sans mérite, sans miséricorde et sans fin !

23. Y pensons-nous, mes chers Frères et Sœurs, quand nous souffrons quelque peine en ce monde ? Que nous sommes donc heureux de faire un si heureux échange d’une peine éternelle et infructueuse en une passagère et méritoire, en portant cette croix avec patience ! Combien avons-nous de dettes non payées ! Combien avons-nous de péchés commis pour l’expiation desquels, même après une contrition amère et une confession sincère, il faudra que nous souffrions dans le purgatoire des siècles entiers, parce que nous nous sommes contentés en ce monde de quelques pénitences fort légères ! Ah ! payons dans ce monde à l’amiable en portant bien notre croix ! Tout est payé à la rigueur jusqu’au dernier denier, jusqu’à une parole oiseuse, dans l’autre. Si nous pouvions seulement ravir au démon le livre de mort, où il a marqué tous nos péchés et la peine qui leur est due, que nous serions ravis de souffrir des années entières ici-bas, plutôt que de souffrir une seule journée en l’autre !

[Pour des amis de Dieu !]

24. Ne vous flattez-vous pas, mes Amis de la Croix, d’être les amis de Dieu, ou de vouloir le devenir. Résolvez-vous donc à boire le calice, qu’il faut boire nécessairement, pour être fait ami de Dieu : “Calicem Domini biberunt et amici Dei facti sunt”. Le bien-aimé Benjamin eut le calice, et les autres frères n’eurent que le froment. Le grand favori de Jésus- Christ a eu son cœur, a monté au Calvaire et a bu au calice. “Potestis bibere calicem ?” Il est bon de désirer la gloire de Dieu ; mais la désirer et la demander sans se résoudre à tout souffrir, c’est une folle et extravagante demande : “nescitis quid petatis... Oportet per multas tribulationes” : il faut, “oportet”. C’est une nécessité, c’est une chose indispensable ; il faut que nous entrions dans le royaume des cieux par beaucoup de tribulations et de croix.

[Pour des enfants de Dieu !]

25. Vous vous glorifiez avec raison d’être les enfants de Dieu. Glorifiez-vous donc des coups de fouet que ce bon Père vous a donnés et vous donnera dans la suite, car il fouette tous ses enfants. Si vous n’êtes pas du nombre de ses fils bien-aimés, vous êtes, - oh ! Quel malheur ! Oh ! Quel coup de fouet ! - vous êtes, comme dit saint Augustin, du nombre des réprouvés. Celui qui ne gémit pas dans ce monde, comme un pèlerin et un étranger, ne se réjouira pas dans l’autre monde comme un citoyen du ciel, dit le même saint Augustin. Si Dieu le Père ne vous envoie pas de temps en temps quelques bonnes croix, c’est qu’il ne se soucie plus de vous, c’est qu’il est en colère contre vous ; il ne vous regarde plus que comme un étranger hors de sa maison et de sa protection, ou comme un enfant bâtard qui, ne méritant pas d’avoir sa portion dans l’héritage de son père, n’en mérite pas les soins et la correction.

[Pour des écoliers d’un Dieu crucifié!]

26. Amis de la Croix, écoliers d’un Dieu crucifié, le mystère de la Croix est un mystère inconnu des Gentils, rejeté des Juifs et méprisé des hérétiques et des mauvais catholiques ; mais c’est le grand mystère que vous devez apprendre en pratique à l’école de Jésus-Christ, et que vous ne pouvez apprendre qu’à son école. Vous chercherez en vain dans toutes les académies de l’antiquité un philosophe qui l’ait enseigné ; vous consulterez en vain la lumière des sens et de la raison : il n’y a que Jésus-Christ qui puisse vous enseigner et faire goûter ce mystère par sa grâce victorieuse. Rendez-vous donc habiles en cette science suréminente, sous un si grand maître, et vous aurez toutes les autres sciences, puisqu’elle les renferme toutes éminemment. C’est notre philosophie naturelle et surnaturelle, notre théologie divine et mystérieuse, et notre pierre philosophale qui change, par la patience, les métaux les plus grossiers en précieux, les douleurs les plus aiguës en délices, les pauvretés en richesses, les humiliations les plus profondes en gloire. Celui parmi vous qui sait mieux porter sa croix, quand il ne saurait d’ailleurs ni A ni B, est le plus savant de tous. Écoutez le grand saint Paul qui, à son retour du troisième ciel, où il apprit les mystères cachés aux Anges même, s’écrie qu’il ne sait et qu’il ne veut savoir que Jésus-Christ crucifié. Réjouissez-vous, pauvre idiot, pauvre femme sans esprit et sans science : si vous savez souffrir joyeusement, vous en saurez plus qu’un docteur de Sorbonne, qui ne sait pas si bien souffrir que vous.

[Pour des membres de Jésus-Christ !]

27. Vous êtes membres de Jésus-Christ, quel honneur ! Mais quelle nécessité de souffrir en cette qualité ! Le chef est couronné d’épines, et les membres seraient couronnés de roses ? Le chef est bafoué et couvert de boue dans le chemin du Calvaire, et les membres seraient couverts de parfums sur le trône ? Le chef n’a pas un oreiller pour se reposer, et les membres seraient délicatement couchés sur la plume et le duvet ? Ce serait un monstre inouï. Non, non, mes chers Compagnons de la Croix, ne vous y trompez pas, ces chrétiens que vous voyez de tous côtés, ornés à la mode, délicats à merveille, élevés et graves à l’excès, ne sont pas les vrais disciples ni les vrais membres de Jésus crucifié ; vous feriez injure à ce chef couronné d’épines et à la vérité de l’Evangile que de croire le contraire. O mon Dieu ! Que de fantômes de chrétiens qui se croient être les membres du Sauveur et qui sont ses persécuteurs les plus traîtres, parce que, tandis que de la main ils font le signe de la Croix, il en sont les ennemis dans leur cœur ! Si vous êtes conduits par le même esprit, si vous vivez de la même vie que Jésus-Christ, votre chef tout épineux, ne vous attendez qu’aux épines, qu’aux coups de fouet, qu’aux clous, en un mot qu’à la croix, parce qu’il est nécessaire que le disciple soit traité comme le maître et le membre comme le chef ; et si le ciel vous présente, comme à sainte Catherine de Sienne, une couronne d’épines et une couronne de roses, choisissez avec elle la couronne d’épines, sans balancer, et vous l’enfoncez dans la tête, pour ressembler à Jésus-Christ.

 

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« Le chef est couronné d’épines, et les membres seraient couronnés de roses ? Le chef est bafoué et couvert de boue dans le chemin du Calvaire, et les membres seraient couverts de parfums sur le trône ? »

 

[Pour les temples du Saint-Esprit !]

28. Vous n’ignorez pas que vous êtes les temples vivants du Saint-Esprit, et que vous devez, comme autant de pierres vives, être placées par ce Dieu d’amour au bâtiment de la Jérusalem céleste. Attendez-vous donc à être taillées, coupées et ciselées par le marteau de la croix ; autrement, vous demeurerez comme des pierres brutes qu’on n’emploie à rien, qu’on méprise et qu’on rejette loin de soi. Prenez garde de faire regimber le marteau qui vous frappe, et prenez garde au ciseau qui vous taille et à la main qui vous tourne ! Peut-être que cet habile et amoureux architecte veut faire de vous une des premières pierres de son édifice éternel, et un des plus beaux portraits de son royaume céleste. Laisse-le donc faire ; il vous aime, il sait ce qu’il fait, il a de l’expérience ; tous ses coups sont adroits et amoureux, il n’en donne aucun de faux, si vous ne le rendez inutile par votre impatience.

29. Le Saint-Esprit compare la croix : - tantôt à un van qui purifie le bon grain de la paille et des ordures : laissez-vous donc, sans résistance, comme le grain du van, ballotter et remuer ; vous êtes dans le van du Père de famille, et bientôt vous serez dans son grenier ; - tantôt à un feu qui ôte la rouille du fer par la vivacité de ses flammes : notre Dieu est un feu consumant qui demeure par la croix dans une âme pour la purifier, sans la consumer, comme autrefois dans le buisson ardent ; - tantôt à un creuset d’une forge, où le bon or se raffine, et où le faux s’évanouit en fumée : le bon en souffrant patiemment l’épreuve du feu, le faux en s’élevant en fumée contre ses flammes ; c’est dans le creuset de la tribulation et de la tentation que les vrais amis de la Croix se purifient par leur patience, tandis que ses ennemis s’en vont en fumée par leur impatience et leurs murmures.

Il faut souffrir comme les saints...

30. Regardez, mes chers Amis de la Croix, regardez devant vous une grande nuée de témoins, qui prouvent, sans dire un mot, ce que je dis. Voyez, comme en passant, un Abel juste et tué par son frère ; un Abraham juste et étranger sur la terre ; un Loth juste et chassé de son pays ; un Jacob juste et persécuté par son frère ; un Tobie juste et frappé d’aveuglement ; un Job juste et appauvri, humilié et frappé d’une plaie depuis les pieds jusqu’à la tête.

31. Regardez tant d’Apôtres et de Martyrs empourprés de leur sang ; tant de Vierges et de Confesseurs appauvris, humiliés, chassés et rebutés, qui tous s’écrient avec saint Paul : “Regardez notre bon Jésus, l’auteur et le consommateur de la foi” que nous avons en lui et en la Croix ; il a fallut qu’il ait souffert pour entrer par la Croix dans sa gloire. Voyez, à côté de Jésus-Christ, un glaive perçant qui pénètre jusqu’au fond le cœur tendre et innocent de Marie, qui n’avait jamais eu aucun péché, ni originel ni actuel. Que ne puis-je m’étendre ici sur la Passion de l’un et de l’autre, pour montrer que ce que nous souffrons n’est rien en comparaison de ce qu’ils ont souffert !

32. Après cela, qui de nous pourra s’exempter de porter sa croix ? Qui de nous ne volera pas avec rapidité dans les lieux où il sait que la croix l’attend ? Qui ne s’écriera avec saint Ignace martyr : “Que le feu, que la potence, que les bêtes et tous les tourments du démon viennent fondre sur moi, afin que je jouisse de Jésus-Christ !”

...sinon comme les réprouvés.

33. Mais enfin, si vous ne voulez pas souffrir patiemment, et porter votre croix avec résignation comme les prédestinés, vous la porterez avec murmure et impatience comme les réprouvés. Vous serez semblables à ces deux animaux qui traînaient l’Arche d’alliance en mugissant. Vous imiterez Simon de Cyrène, qui mit la main à la Croix même de Jésus- Christ malgré lui, et qui ne faisait que murmurer en la portant. Il vous arrivera enfin ce qui est arrivé au mauvais larron, qui du haut de sa croix tomba dans le fond des abîmes. Non, non, cette terre maudite où nous vivons ne fait point de bienheureux ; on ne voit pas bien clair en ce pays de ténèbres ; on n’est point dans une parfaite tranquillité sur cette mer orageuse ; on n’est point sans combats dans ce lieu de tentation et ce champ de bataille ; on n’est point sans piqûres sur cette terre couverte d’épines. Il faut que les prédestinés et les réprouvés y portent leur croix, bon gré mal gré. Retenez ces quatre vers : Choisis une des croix que tu vois au Calvaire, Choisis bien sagement ; car il nécessaire De souffrir comme un saint, ou comme un pénitent, ou comme un réprouvé qui n’est jamais content. C’est-à-dire, que si vous ne voulez pas souffrir avec joie comme Jésus-Christ, ou avec patience comme le bon larron, il faudra que vous souffriez malgré vous comme le mauvais larron ; il faudra que vous buviez jusqu’à la lie du calice le plus amer, sans aucune consolation de la grâce, et que vous portiez le poids tout entier de votre croix, sans aucune aide puissante de Jésus-Christ. Il faudra même que vous portiez le poids fatal que le démon ajoutera à votre croix, par l’impatience où elle vous jettera, et qu’après avoir été malheureux avec le mauvais larron sur la terre, vous alliez le trouver dans les flammes.

[2. «RIEN DE SI UTILE ET DE SI DOUX »]

34. Mais si, au contraire, vous souffrez comme il faut, la croix deviendra un joug très doux, que Jésus-Christ portera avec vous. Elle deviendra les deux ailes de l’âme qui s’élève au ciel ; elle deviendra un mât de navire qui vous fera heureusement et facilement arriver au port du salut. Portez votre croix patiemment, et par cette croix bien portée, vous serez éclairés en vos ténèbres spirituelles ; car qui ne souffre rien par la tentation, ne sait rien. Portez votre croix joyeusement, et vous serez embrasés du divin amour ; car personne ne vit sans douleur dans le pur amour du Seigneur. On ne cueille de roses que parmi les épines. La croix seule est la pâture de l’amour de Dieu, comme le bois est celle du feu. Souvenez-vous donc de cette belle sentence de l’Imitation : “Autant que vous vous ferez de violence”, en souffrant patiemment, “autant vous avancerez” dans l’amour divin. N’attendez rien de grand de ces âmes délicates et paresseuses qui refusent la croix, quand elle les aborde, et qui ne s’en procurent aucune avec discrétion : c’est une terre inculte qui ne donnera que des épines, parce qu’elle n’est point coupée, battue ni remuée par un sage laboureur ; c’est une eau croupissante qui n’est propre ni à laver ni à boire. Portez votre croix joyeusement, et vous y trouverez une force victorieuse, à laquelle aucun de vos ennemis ne pourra résister, et vous y goûterez une douceur charmante, à laquelle il n’y a rien de semblable. Oui, mes Frères, sachez que le vrai paradis terrestre est de souffrir quelque chose pour Jésus-Christ. Interrogez tous les saints : ils vous diront qu’ils n’ont jamais goûté un festin si délicieux à l’âme que lorsqu’ils ont souffert les plus grands tourments. “Que tous les tourments du démon viennent fondre sur moi !”, disait saint Ignace martyr. “Ou souffrir, ou mourir”, disait sainte Thérèse. “Non pas mourir, mais souffrir”, disait sainte Madeleine de Pazzi. “Souffrir et être méprisé pour vous”, disait le bienheureux Jean de la Croix ; et tant d’autres ont tenu le même langage, comme on lit dans leur vie. Croyez Dieu, mes chers Frères : Quand on souffre joyeusement pour Dieu, “la croix, dit le Saint-Esprit, est le sujet de toutes sortes de joie” pour toutes sortes de personnes. La joie de la croix est plus grande que celle d’un paysan que l’on comble de toutes sortes de richesses ; - que la joie d’un paysan qu’on élève sur le trône ; - que la joie d’un marchand qui gagne des millions d’or ; - que la joie des généraux d’armée qui remportent des victoires ; - que la joie des captifs qui sont délivrés de leurs fers; - enfin, qu’on s’imagine toutes les plus grandes joies d’ici-bas : celle d’une personne crucifiée, qui souffre bien, les renferme et les surpasse toutes.

[3. «RIEN DE SI GLORIEUX »]

35. Réjouissez-vous donc et tressaillez d’allégresse, lorsque Dieu vous fera part de quelque bonne croix ; car ce qu’il y a de plus grand dans le ciel et en Dieu même tombe en vous, sans vous en apercevoir. Le grand présent de Dieu que la croix ! Si vous le compreniez, vous feriez dire des messes, vous feriez des neuvaines aux tombeaux des saints, vous entreprendriez de longs voyages, comme les saints ont fait, pour obtenir du ciel ce divin présent.

36. Le monde l’appelle une folie, une infamie, une sottise, une indiscrétion, une imprudence ; laissez dire ces aveugles : leur aveuglement, qui leur fait regarder la croix en hommes, et tout de travers, fait une partie de notre gloire. Toutes les fois qu’ils nous procurent quelques croix par leur mépris et leurs persécutions, ils nous donnent des bijoux, ils nous mettent sur le trône, ils nous couronnent de lauriers.

37. Que dis-je ? Toutes les richesses, tous les honneurs, tous les sceptres, toutes les couronnes brillantes des potentats et des empereurs ne sont pas comparables à la gloire de la croix, dit saint Jean Chrysostome ; elle surpasse la gloire d’apôtre et d’écrivain sacré. “Je quitterais volontiers le ciel, s’il était à mon choix, - dit ce saint homme éclairé du Saint- Esprit, - pour endurer pour le Dieu du ciel. Je préférerais les cachots et les prisons aux trônes de l’empyrée : je n’ai pas tant d’envie de la gloire des Séraphins que des plus grandes croix. J’estime moins le don des miracles, par lequel on commande aux démons, on ébranle les éléments, on arrête le soleil, on donne la vie aux morts, que l’honneur des souffrances. Saint Pierre et saint Paul sont plus glorieux dans les cachots, les fers aux pieds, que de s’élever au troisième ciel, et de recevoir les clefs du paradis.”

38. En effet, n’est-ce pas la Croix qui a donné à Jésus-Christ “un nom au-dessus de tous les noms, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, au ciel, et sur la terre, et dans les enfers” ? La gloire d’une personne qui souffre bien est si grande, que le ciel, les anges et les hommes, et le Dieu même du ciel la contemplent avec joie, comme le plus glorieux spectacle, et que si les saints avaient un désir, ce serait de revenir sur la terre porter quelques croix.

39. Mais si cette gloire est si grande même sur la terre, quelle sera donc celle qu’elle acquiert dans le ciel ? Qui expliquera, et qui comprendra jamais ce “poids éternel de gloire” qu’opère en nous un seul moment d’une croix bien portée ? Qui comprendra celle qu’une année, et quelquefois une vie toute entière de croix et de douleurs, opère dans le ciel ?

40. Assurément, mes chers Amis de la Croix, le ciel vous prépare à quelque chose de grand, vous dit un grand saint, puisque le Saint-Esprit vous unit si étroitement dans une chose que tout le monde fuit avec tant de soin. Assurément Dieu veut faire autant de saints et de saintes que vous êtes d’Amis de la Croix, si vous êtes fidèles à votre vocation, si vous portez votre croix comme il faut, comme Jésus-Christ l’a portée.

[D. «ET QU’IL ME SUIVE ! »]

41. Mais il ne suffit pas de souffrir : le démon et le monde ont leurs martyrs ; mais il faut souffrir et porter sa croix sur les traces de Jésus-Christ : “sequatur me”, qu’il me suive ! C’est-à-dire de la manière qu’il l’a portée ; et voici pour cela les règles que vous devez garder :

[LES QUATORZE REGLES]

[Ne pas se procurer de croix exprès et par sa faute.]

42. 1 Ne vous procurez point exprès et par votre faute des croix ; il ne faut pas faire le mal pour qu’il en arrive du bien ; il ne faut pas, sans une inspiration spéciale, faire les choses d’une mauvaise manière, pour s’attirer le mépris des hommes. Il faut plutôt imiter Jésus-Christ, dont il est dit qu’il a bien fait toutes choses, non pas par amour-propre ou par vanité, mais pour plaire à Dieu et pour gagner le prochain. Et si vous vous acquittez le mieux que vous pourrez de vos emplois, vous n’y manquerez pas de contradictions, de persécutions ni de mépris, que la divine Providence vous enverra, contre votre volonté et sans votre choix.

[Consulter le bien du prochain.]

43. 2 Si vous faites quelque chose d’indifférent, dont le prochain se scandalise, quoique mal à propos, abstenez-vous en par charité, pour faire cesser le scandale des petits ; et l’acte héroïque de la charité que vous faites en cette occasion vaut infiniment mieux que la chose que vous faisiez ou que vous vouliez faire. Si cependant le bien que vous faites est nécessaire ou utile au prochain, et si quelque pharisien ou mauvais esprit s’en scandalise mal à propos, consultez un sage pour savoir si la chose que vous faites est nécessaire et beaucoup utile au commun du prochain ; et s’il la juge telle, continuez-la et les laissez dire, pourvu qu’ils vous laissent faire, et répondez en cette occasion ce que répondit Notre-Seigneur à quelques-uns de ses disciples, qui vinrent lui dire que les Scribes et les Pharisiens étaient scandalisés de ses paroles et de ses actions : “Laissez-les, ce sont des aveugles”.

[Admirer, sans prétendre l’atteindre, la sublime vertu des saints.]

44. 3 Quoique quelques saints et grands personnages aient demandé, recherché, et même se soient procuré, par des actions ridicules, des croix, des mépris et des humiliations, adorons et admirons seulement l’opération extraordinaire du Saint-Esprit dans leurs âmes, et humilions-nous à la vue d’une si sublime vertu, sans oser voler si haut, n’étant auprès de ces aigles rapides et de ces lions rugissants, que des poules mouillées et des chiens morts.

[Demander à Dieu la sagesse de la croix.]

45. 4 Vous pouvez cependant, et même vous devez demander la sagesse de la croix, qui est une science savoureuse et expérimentale de la vérité, qui fait voir dans le jour de la foi les mystères les plus cachés, entre autres celui de la croix ; ce qu’on n’obtient que par de grands travaux, de profondes humiliations et des prières ferventes. Si vous avez besoin de cet esprit principal, qui fait porter les croix les plus lourdes avec courage ; de cet esprit bon et doux qui fait goûter, dans la partie supérieure de l’âme, les amertumes les plus dégoûtantes ; de cet esprit saint et droit qui ne cherche que Dieu ; de cette science de la croix qui renferme toutes choses ; en un mot, de ce trésor infini dont le bon usage rend une âme participante de l’amitié de Dieu, demandez la sagesse, demandez-la incessamment et fortement, sans hésiter, sans crainte de ne la pas obtenir, et vous l’aurez immanquablement, et puis vous verrez clairement, par expérience, comment il se peut faire qu’on désire, qu’on recherche et qu’on goûte la croix.

[S’humilier de ses fautes, sans se troubler.]

46. 5 Quand vous aurez, par ignorance ou même par votre faute, fait quelque bévue qui vous procure quelque croix, humiliez-vous en aussitôt en vous-mêmes, sous la main puissante de Dieu, sans vous en troubler volontairement, disant, par exemple, intérieurement : “Voilà, Seigneur, un tour de mon métier !” Et s’il y a du péché dans la faute que vous avez faite, prenez l’humiliation qui vous en revient comme son châtiment ; et s’il n’y a point de péché, comme une humiliation de votre orgueil. Souvent, et même très souvent, Dieu permet que ses plus grands serviteurs, qui sont les plus élevés en sa grâce, fassent des fautes des plus humiliantes, afin de leur ôter la vue et la pensée orgueilleuse des grâces qu’il leur donne, et du bien qu’ils font, afin “qu’aucune créature”, comme dit le Saint-Esprit, “ne se glorifie devant Dieu”.

[Dieu nous humilie pour nous purifier.]

47. 6 Soyez bien persuadés que tout ce qui est en vous est tout corrompu par le péché d’Adam et par les péchés actuels, et non seulement les sens du corps, mais toutes les puissances de l’âme, et que dès lors que notre esprit corrompu regarde quelque don de Dieu en nous avec réflexion et complaisance, ce don, cette action, cette grâce devient toute souillée et corrompue, et Dieu en détourne ses yeux divins. Si les regards et les pensées de l’esprit de l’homme gâtent ainsi les meilleures actions et les dons les plus divins, que dirons-nous des actes de la volonté propre, qui sont encore plus corrompus que ceux de l’esprit ? Après cela, il ne faut pas s’étonner si Dieu prend plaisir à cacher les siens dans les secrets de sa face, afin qu’ils ne soient point souillés par les regards des hommes et par leurs propres connaissances. Et pour les cacher ainsi, que ne permet et ne fait point ce Dieu jaloux ! Combien d’humiliations leur procure-t-il ? En combien de fautes les laisse-t-il tomber ! De combien de tentations permet-t-il qu’ils soient attaqués, comme saint Paul ! En quelles incertitudes, ténèbres, perplexités les laisse-t-il ! Oh ! Que Dieu est admirable dans ses saints, et dans les voies qu’il tient pour les conduire à l’humilité et à la sainteté !

[Dans ses croix éviter le piège de l’orgueil.]

48. 7 Prenez donc bien garde de croire, comme les dévots orgueilleux et pleins d’eux-mêmes, que vos croix sont grandes, qu’elles sont des épreuves de votre fidélité, et des témoignages d’un amour singulier de Dieu en votre endroit. Ce piège d’orgueil spirituel est fort fin et délicat, mais plein de venin. Vous devez croire : 1) que votre orgueil et votre délicatesse vous font prendre pour des poutres, des pailles; pour des plaies, des piqûres; pour un éléphant, un rat ; pour une injure atroce et un abandon cruel, une petite parole en l’air, un petit rien dans la vérité ; 2) que les croix que Dieu vous envoie sont plutôt des châtiments amoureux de vos péchés, comme il est en effet, que des marques d’une bienveillance spéciale ; 3) que quelque croix et quelque humiliation qu’il vous envoie, il vous en épargne infiniment, vu le nombre et l’énormité de vos crimes, que vous ne devez regarder qu’à travers la sainteté de Dieu, qui ne souffre rien d’impur, et que vous avez attaqué ; à travers un Dieu mourant et accablé de douleur, à cause de l’apparence de votre péché ; et à travers d’un enfer éternel que vous avez mérité mille et peut-être cent mille fois ; 4) que dans la patience avec laquelle vous souffrez, vous y mêlez plus d’humain et de naturel que vous ne pensez : témoins ces petits ménagements, ces secrètes recherches de la consolation, ces ouvertures si naturelles à vos amis, peut-être à votre directeur, ces excuses si fines et si promptes, ces plaintes, ou plutôt ces médisances de ceux qui vous ont fait le mal, si bien tournées, si charitablement prononcées, ces retours et ces complaisances délicates en vos maux, cette croyance de Lucifer que vous êtes quelque chose de grand, etc. Je n’aurais jamais fait, s’il fallait ici décrire les tours et les détours de la nature, même dans les souffrances.

[Faire profit des petites souffrances, plus que des grandes.]

49. 8 Faites profit, et même davantage, des petites souffrances que des grandes. Dieu ne regarde pas tant la souffrance que la manière avec laquelle on souffre. Souffrir beaucoup et souffrir mal, c’est souffrir en damné ; souffrir beaucoup et avec courage, mais pour une mauvaise cause, c’est souffrir en martyr du démon ; souffrir peu ou beaucoup et souffrir pour Dieu, c’est souffrir en saint. S’il est vrai de dire qu’on peut faire choix des croix, c’est particulièrement des petites et obscures quand elles viennent en parallèle avec les grandes et éclatantes. L’orgueil de la nature peut demander, rechercher, et même choisir et embrasser les croix grandes et éclatantes ; mais de choisir et de bien joyeusement porter les croix petites et obscures, ce ne peut être que l’effet d’une grande grâce et d’une grande fidélité à Dieu. Faites donc comme le marchand au regard de son comptoir : faites profit de tout, ne laissez pas perdre la moindre parcelle de la vraie Croix, quand ce ne serait qu’une piqûre de mouche ou d’épingle, qu’un petit travers d’un voisin, qu’une petite injure par méprise, qu’une petite perte d’un denier, qu’un petit trouble dans l’âme, qu’une petite lassitude dans le corps, qu’une petite douleur dans un de vos membres, etc. Faites profit de tout, comme l’épicier de sa boutique, et vous deviendrez bientôt riches en Dieu, comme il devient riche en argent, en mettant denier sur denier dans son comptoir. A la moindre petite traverse qui vous arrive, dites : “Dieu soit béni ! Mon Dieu, je vous remercie” ; puis cachez dans la mémoire de Dieu, qui est comme votre comptoir, la croix que vous venez de gagner ; et puis ne vous en souvenez plus que pour dire : Grand merci ou miséricorde !

[Aimer les croix, non d’un amour sensible, mais raisonnable, et surnaturel.]

50. 9 Quand on vous dit d’aimer la croix, on ne parle pas d’un amour sensible, qui est impossible à la nature. Distinguez donc bien trois amours : l’amour sensible, l’amour raisonnable, l’amour fidèle et suprême ; ou autrement : l’amour de la partie inférieure qui est la chair, l’amour de la partie supérieure qui est la raison, et l’amour de la partie suprême, ou cime de l’âme, qui est l’intelligence éclairée de la foi.

51. Dieu ne demande pas de vous que vous aimiez la croix de la volonté de la chair. Comme elle est toute corrompue et criminelle, tout ce qui en naît est corrompu, et même elle ne peut être soumise par elle-même à la volonté de Dieu et à sa loi crucifiante. C’est pourquoi Notre-Seigneur, parlant d’elle au jardin des Olives, s’écria : “Mon Père, que votre volonté soit faite, et non la mienne !” Si la partie inférieure de l’homme en Jésus-Christ, quoiqu’elle fut sainte, n’a pu aimer la croix sans aucune interruption, à plus forte raison la nôtre, qui est toute corrompue, la repoussera-t-elle. Nous pouvons, à la vérité, éprouver quelquefois une joie même sensible de ce que nous souffrons, comme plusieurs saints ont ressenti ; mais cette joie ne vient pas de la chair, quoiqu’elle soit dans la chair ; elle ne vient que de la partie supérieure, qui est si remplie de cette divine joie du Saint- Esprit, qu’elle la fait rejaillir jusque sur la partie inférieure, en sorte qu’en ce moment la personne la plus crucifiée peut dire : “Mon cœur et ma chair ont tressailli d’allégresse dans le Dieu vivant !”

52. Il y a un autre amour de la croix que j’appelle raisonnable, et qui est dans la partie supérieure qui est la raison. Cet amour est tout spirituel, et, comme il naît de la connaissance du bonheur qu’on a de souffrir pour Dieu, il est perceptible et même aperçu par l’âme, il la réjouit intérieurement et la fortifie. Mais cet amour raisonnable et aperçu, quoique bon et très bon, n’est pas toujours nécessaire pour souffrir joyeusement et divinement.

53. C’est pourquoi il y a un autre amour de la cime et de la pointe de l’âme, disent les maîtres de la vie spirituelle, - ou de l’intelligence, disent les philosophes, - par lequel, sans ressentir aucune joie dans les sens, sans apercevoir aucun plaisir raisonnable dans l’âme, on aime cependant et on goûte, par la vue de la pure foi, la croix qu’on porte, quoique souvent tout soit en guerre et en alarmes dans la partie inférieur, qui gémit, qui se plaint, qui pleure et qui cherche à se soulager, en sorte qu’on dise avec Jésus-Christ : “Mon Père, que votre volonté soit faite et non pas la mienne !” ou avec la Sainte Vierge : “Voici l’esclave du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole !” C’est de l’un de ces deux amours de la partie supérieure que nous devons aimer et agréer la croix.

[Souffrir toutes sortes de croix, sans exception et sans choix.]

54. 10 Résolvez-vous, chers Amis de la Croix, à souffrir toutes sortes de croix, sans exception et sans choix : toute pauvreté, toute injustice, toute perte, toute maladie, toute humiliation, toute contradiction, toute calomnie, toute sécheresse, tout abandon, toute peine intérieure et extérieure ; disant toujours : “Mon cœur est préparé, mon Dieu, mon cœur est préparé”. Préparez-vous donc à être délaissés des hommes et des anges, et comme de Dieu même ; à être persécutés, enviés, trahis, calomniés, décrédités et abandonnés de tous ; à souffrir la faim, la soif, la mendicité la nudité, l’exil, la prison, la potence et toutes sortes de supplices, quoique vous ne l’ayez pas mérité pour les crimes qu’on vous impose. Enfin imaginez-vous qu’après avoir perdu vos biens et votre honneur, après avoir été jetés hors de votre maison, comme Job et sainte Elisabeth, reine de Hongrie, on vous jette comme cette sainte dans la boue, on vous traîne comme Job sur un fumier, tout puant et couvert d’ulcères, sans qu’on vous donne du linge pour mettre sur vos plaies, ni un morceau de pain à manger, qu’on ne refuserait pas à un cheval ou à un chien, et qu’avec tous ces maux extrêmes Dieu vous laisse comme en proie à toutes les tentations des démons, sans verser dans votre âme la moindre consolation sensible. Croyez fermement que voilà le souverain point de la gloire divine et de la félicité véritable d’un vrai et parfait Ami de la Croix.

LES QUATRE STIMULANTS DE LA BONNE SOUFFRANCE

55. 11 Pour vous aider à bien souffrir, faites-vous une sainte habitude de regarder quatre choses :

[1. L’œil de Dieu -]  

Premièrement, l’œil de Dieu qui, comme un grand roi, du haut d’une tour, regarde son soldat dans la mêlée, avec complaisance et avec louange de son courage. Qu’est-ce que Dieu regarde sur la terre ? Les rois et empereurs sur leurs trônes ? Il ne les regarde souvent qu’avec mépris. Les grandes victoires des armées de l’Etat, les pierres précieuses, les choses en un mot qui sont grandes aux yeux des hommes ? Ce qui est grand aux yeux des hommes est une abomination devant Dieu. Qu’est-ce donc qu’il regarde avec plaisir et complaisance, et dont il demande des nouvelles aux anges et aux démons mêmes ? - C’est un homme qui se bat pour Dieu avec la fortune, avec le monde, avec l’enfer et avec soi-même, un homme qui porte joyeusement sa croix. N’as-tu pas vu sur la terre une grande merveille que tout le ciel regarde avec admiration, dit le Seigneur à Satan ; “N’as-tu pas vu mon serviteur Job”, qui souffre pour moi ?

[2. La main de Dieu -]

56. Secondement, considérez la main de ce puissant Seigneur, qui fait tout le mal de la nature qui nous arrive, depuis le plus grand jusqu’au moindre. La même main qui a mis une armée de cent mille hommes sur le carreau, a fait tomber la feuille de l’arbre et le cheveu de votre tête ; la main qui avait touché Job rudement vous touche doucement par le petit mal qu’elle vous fait. De la même main il forme le jour et la nuit, le soleil et les ténèbres, le bien et le mal ; il a permis les péchés qu’on commet en vous choquant ; il n’en a pas fait la malice, mais il en a permis l’action. Ainsi, quand vous verrez un Sémeï vous dire des injures, vous jeter des pierres comme au roi David, dites en vous-mêmes : “ Ne nous vengeons point, laissons-le faire, car le Seigneur lui a ordonné d’en agir ainsi. Je sais que j’ai mérité toutes sortes d’outrages et c’est avec justice que Dieu me punit. Arrêtez-vous, mon bras ; vous, ma langue, arrêtez- vous ; ne frappez point, ne dites mot. Cet homme ou cette femme me disent ou font des injures ; ce sont les ambassadeurs de Dieu qui viennent de la part de sa miséricorde pour tirer vengeance à l’amiable. N’irritons pas sa justice en usurpant les droits de sa vengeance ; ne méprisons pas sa miséricorde en résistant à ses coups de fouet tout amoureux, de peur qu’elle ne nous renvoie, pour se venger, à la pure justice de l’éternité”. Regardez une main de Dieu toute-puissante et infiniment prudente, qui vous soutient, tandis que son autre vous frappe ; il mortifie d’une main, et vivifie de l’autre ; il abaisse et il relève, et de ses deux bras il atteint d’un bout à l’autre de votre vie doucement et fortement : doucement, en ne permettant pas que vous soyez tentés et affligés au-dessus de vos forces ; fortement, en vous secondant d’une grâce puissante qui correspond à la force et à la durée de la tentation et de l’affliction ; fortement encore, en devenant lui-même, comme il le dit par l’esprit de sa sainte Eglise, “votre appui sur le bord du précipice auprès duquel vous êtes, votre compagnon dans le chemin où vous vous égarez, votre ombrage dans le chaud qui vous brûle, votre vêtement dans la pluie qui vous mouille et le froid qui vous glace, votre voiture dans la lassitude qui vous accable, votre bâton dans les pas glissants et votre port au milieu des tempêtes qui vous menacent de ruine et de naufrage.”

[3. Les plaies et les douleurs de Jésus-Christ crucifié -]

57. Troisièmement, regardez les plaies et les douleurs de Jésus-Christ crucifié. Il vous le dit lui-même : “O vous tous qui passez par la voie” épineuse et crucifiée par laquelle j’ai passé, “regardez et voyez” : regardez des yeux mêmes de votre corps, et voyez par les yeux de votre contemplation, si votre pauvreté, votre nudité, votre mépris, vos douleurs, vos abandons sont semblables aux miens ; regardez-moi, moi qui suis innocent, et plaignez-vous, vous qui êtes coupables !” Le Saint-Esprit nous ordonne, par la bouche des Apôtres, ce même regard de Jésus-Christ crucifié ; il nous commande de nous armer de cette pensée, plus perçante et plus terrible à tous nos ennemis que toutes les autres armes. Quand vous serez attaqués par la pauvreté, l’abjection, la douleur, la tentation et les autres croix, armez-vous d’un bouclier, d’une cuirasse, d’un casque, d’une épée à deux tranchants, savoir de la pensée de Jésus-Christ crucifié. Voilà la solution de toute difficulté et la victoire de tout ennemi.

[4. En haut, le ciel ; en bas, l’enfer -]

58. Quatrièmement, regardez en haut la belle couronne qui vous attend dans le ciel, si vous portez bien votre croix. C’est cette récompense qui a soutenu les patriarches et les prophètes dans leur foi et leurs persécutions ; qui a animé les Apôtres et les Martyrs dans leurs travaux et leurs tourments. “Nous aimons mieux, disaient les patriarches avec Moïse, nous aimons mieux être affligés avec le peuple de Dieu, pour être heureux éternellement avec lui, que de jouir pour un moment d’un plaisir criminel. Nous souffrons de grandes persécutions à cause de la récompense, disaient les prophètes avec David. Nous sommes comme des victimes destinées à la mort, comme un spectacle au monde, aux anges et aux hommes par nos souffrances, et comme la balayure et l’anathème du monde, disaient les Apôtres et les Martyrs avec saint Paul, à cause du poids immense de la gloire éternelle, que ce moment d’une légère souffrance produit en nous”. Regardons sur notre tête les anges qui nous crient : “Prenez garde de perdre la couronne marquée pour la croix qui vous est donnée, si vous la portez bien. Si vous ne la portez pas bien, un autre la portera comme il faut et ravira votre couronne. Combattez fortement en souffrant patiemment, nous disent tous les saints, et vous recevrez un royaume éternel”. Ecoutons enfin Jésus-Christ qui nous dit : “Je ne donnerai ma récompense qu’à celui qui souffrira et vaincra par sa patience”. Regardons en bas la place que nous méritons, et qui nous attend dans l’enfer avec le mauvais larron et les réprouvés, si nous souffrons comme eux avec murmure, avec dépit et avec vengeance. Ecrions-nous avec saint Augustin : “Brûlez, Seigneur, coupez, taillez, tranchez en ce monde-ci pour punir mes péchés, pourvu que vous les pardonniez dans l’éternité”.

[Ne jamais se plaindre des créatures]

59. 12 Ne vous plaignez jamais volontairement et avec murmure des créatures dont Dieu se sert pour vous affliger. Distinguez pour cela trois sortes de plaintes dans les maux. - La première est involontaire et naturelle : c’est celle du corps qui gémit, qui soupire, qui se plaint, qui pleure, qui se lamente. Quand l’âme, comme j’ai dit, est résignée à la volonté de Dieu dans sa partie supérieure, il n’y a aucun péché. - La seconde est raisonnable : c’est quand on se plaint et découvre son mal à ceux qui peuvent y mettre ordre, comme un supérieur, un médecin. Cette plainte peut être imparfaite quand elle est trop empressée ; mais elle n’est pas péché. - La troisième est criminelle : c’est lorsqu’on se plaint du prochain pour s’exempter du mal qu’il nous fait souffrir, ou pour se venger ; ou qu’on se plaint de la douleur que l’on souffre, en consentant à cette plainte et y ajoutant l’impatience et le murmure.

[Ne recevoir la croix qu’avec reconnaissance]

60. 13 Ne recevez jamais aucune croix sans la baiser humblement avec reconnaissance ; et quand Dieu tout bon vous aura favorisés de quelque croix un peu considérable, remerciez-l’en d’une manière spéciale et l’en faites remercier par d’autres, à l’exemple de cette pauvre femme qui, ayant perdu tout son bien par un procès injuste, qu’on lui suscita, fit aussitôt dire une messe, d’une pièce de dix sous qui lui restait, afin de remercier Dieu de la bonne aventure qui lui était arrivée.

[Se charger de croix volontaires]

61. 14 Si vous voulez vous rendre digne de recevoir les croix qui vous viendront sans votre participation, et qui sont les meilleures, chargez-vous-en de volontaires, avec l’avis d’un bon directeur. Par exemple : avez-vous chez vous quelque meuble inutile auquel vous avez quelque affection ? Donnez-le aux pauvres, en disant : voudrais-tu avoir du superflu quand Jésus est si pauvre ? Avez-vous horreur de quelque nourriture ? De quelque acte de vertu ? De quelque mauvaise odeur ? Goûtez, pratiquez, sentez, vainquez-vous. Aimez-vous avec un peu trop de tendre et empressé quelque personne, quelques objets ? Absentez-vous, privez-vous, éloignez-vous de ce qui vous flatte. Avez-vous quelque saillie de nature pour voir ? Pour agir ? Pour paraître ? Pour aller en quelque endroit ? Arrêtez-vous, taisez-vous, cachez-vous, détournez vos yeux. Haïssez-vous naturellement un tel objet ? Une telle personne ? Allez-y fréquemment, surmontez-vous.

62. Si vous êtes vraiment Amis de la Croix, l’amour, qui est toujours industrieux, vous fera trouver ainsi mille petites croix, dont vous vous enrichirez insensiblement, sans crainte de la vanité, qui se mêle souvent dans la patience avec laquelle on endure les croix éclatantes ; et parce que vous aurez été ainsi fidèles en peu de chose, le Seigneur, comme il l’a promis, vous établira sur beaucoup : c’est-à-dire sur beaucoup de grâces qu’il vous donnera, sur beaucoup de croix qu’il vous enverra, sur beaucoup de gloire qu’il vous préparera...

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21/01/2020

« Prière à Saint Louis, Roy de France »

« Ô Saint Monarque, regardez d'un œil favorable ce royaume que vous avez si sagement gouverné »

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« Chaque goutte du sang de Louis XVI en coûtera des torrents à la France ; quatre millions de Français, peut-être, paieront de leurs têtes le grand crime national d'une insurrection anti-religieuse et anti-sociale, couronnée par un régicide. »

Joseph de Maistre, Considérations sur la France (1796)

 

« Regardez-nous du haut du Ciel, ô Saint Monarque ! Et dans cette félicité éternelle que vous possédez, soyez sensibles à nos misères : tout indignes que nous sommes de votre secours, ne nous le refusez pas. Regardez d'un œil favorable ce royaume que vous avez si sagement gouverné, et si tendrement aimé. Si, par la corruption des vices qui s'y sont introduits depuis votre règne, la face vous en paraît défigurée, que cela même soit un motif pour vous intéresser, comme son roi, à le renouveler : si vous y voyez des scandales, aidez-nous à les retrancher. Étendez surtout votre protection sur notre auguste monarque. C'est votre fils, c'est le chef de votre maison, c'est l'imitation de vos vertus, c'est la vive image de vos héroïques et royales qualités : car il est comme vous le zèle de Dieu, il est comme vous le protecteur de la vraie religion, le restaurateur des autels, l'exterminateur de l'hérésie. Obtenez-lui les grâces et les lumières dont il a besoin pour achever les grands desseins que Dieu lui inspire ; que cet esprit de Sainteté qui vous a dirigé dans toutes vos voies vienne reposer sur lui ; qu'il nous anime nous-mêmes, et qu'il nous conduise tous à l'éternité bienheureuse. Par Jésus, le Christ, notre Seigneur. » Ainsi soit-il.

Révérend Père Louis Bourdaloue (1632-1704)

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06/01/2020

« TRADIDI VOBIS QUOD ET ACCEPI »

«  (…) je garde très fermement et je garderai jusqu'à mon dernier soupir la foi des Pères sur le charisme certain de la vérité qui est, qui a été et qui sera toujours "dans la succession de l'épiscopat depuis les apôtres", non pas pour qu'on tienne ce qu'il semble meilleur et plus adapté à la culture de chaque âge de pouvoir tenir, mais pour que jamais on ne croie autre chose, ni qu'on ne comprenne autrement la vérité absolue et immuable prêchée depuis le commencement par les apôtres. »


Motu proprio Sacrorum antistitum du 1er septembre 1910 ou « serment antimoderniste »

Promulgué par le pape Saint Pie X

 

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« Le modernisme est l'égout collecteur de toutes les hérésies.»

Saint Pie X, Motu proprio Praestantia (18 avril 1907)

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Moi, N..., j'embrasse et reçois fermement toutes et chacune des vérités qui ont été définies, affirmées et déclarées par le magistère infaillible de l'Eglise, principalement les chapitres de doctrine qui sont directement opposés aux erreurs de ce temps.

- Et d'abord, je professe que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être certainement connu, et par conséquent aussi, démontré à la lumière naturelle de la raison "par ce qui a été fait" Rm 1,20 , c'est-à-dire par les œuvres visibles de la création, comme la cause par les effets.

- Deuxièmement, j'admets et je reconnais les preuves extérieures de la Révélation, c'est-à-dire les faits divins, particulièrement les miracles et les prophéties comme des signes très certains de l'origine divine de la religion chrétienne et je tiens qu'ils sont tout à fait adaptés à l'intelligence de tous les temps et de tous les hommes, même ceux d'aujourd'hui.

- Troisièmement, je crois aussi fermement que l'Eglise, gardienne et maîtresse de la Parole révélée, a été instituée immédiatement et directement par le Christ en personne, vrai et historique, lorsqu'il vivait parmi nous, et qu'elle a été bâtie sur Pierre, chef de la hiérarchie apostolique, et sur ses successeurs pour les siècles.

- Quatrièmement, je reçois sincèrement la doctrine de la foi transmise des apôtres jusqu'à nous toujours dans le même sens et dans la même interprétation par les pères orthodoxes ; pour cette raison, je rejette absolument l'invention hérétique de l'évolution des dogmes, qui passeraient d'un sens à l'autre, différent de celui que l'Eglise a d'abord professé. Je condamne également toute erreur qui substitue au dépôt divin révélé, confié à l'Epouse du Christ, pour qu'elle garde fidèlement, une invention philosophique ou une création de la conscience humaine, formée peu à peu par l'effort humain et qu'un progrès indéfini perfectionnerait à l'avenir.

- Cinquièmement, je tiens très certainement et professe sincèrement que la foi n'est pas un sentiment religieux aveugle qui émerge des ténèbres du subconscient sous la pression du cœur et l'inclination de la volonté moralement informée, mais qu'elle est un véritable assentiment de l'intelligence à la vérité reçue du dehors, de l'écoute, par lequel nous croyons vrai, à cause de l'autorité de Dieu souverainement véridique, ce qui a été dit, attesté et révélé par le Dieu personnel, notre Créateur et notre Seigneur.

Je me soumets aussi, avec la révérence voulue, et j'adhère de tout mon cœur à toutes les condamnations, déclarations, prescriptions, qui se trouvent dans l'encyclique Pascendi (3475-3500) et dans le décret Lamentabili 3401- 3466, notamment sur ce qu'on appelle l'histoire des dogmes.

De même, je réprouve l'erreur de ceux qui affirment que la foi proposée par l'Eglise peut être en contradiction avec l'histoire, et que les dogmes catholiques, au sens où on les comprend aujourd'hui, ne peuvent être mis d'accord avec une connaissance plus exacte des origines de la religion chrétienne.

Je condamne et rejette aussi l'opinion de ceux qui disent que le chrétien savant revêt une double personnalité, celle du croyant et celle de l'historien, comme s'il était permis à l'historien de tenir ce qui contredit la foi du croyant, ou de poser des prémices d'où il suivra que les dogmes sont faux ou douteux, pourvu que ces dogmes ne soient pas niés directement.

Je réprouve également la manière de juger et d'interpréter l'Ecriture sainte qui, dédaignant la tradition de l'Eglise, l'analogie de la foi et les règles du Siège apostolique, s'attache aux inventions des rationalistes et adopte la critique textuelle comme unique et souveraine règle, avec autant de dérèglement que de témérité.

Je rejette en outre l'opinion de ceux qui tiennent que le professeur des disciplines historico-théologiques ou l'auteur écrivant sur ces questions doivent d'abord mettre de côté toute opinion préconçue, à propos, soit de l'origine surnaturelle de la tradition catholique, soit de l'aide promise par Dieu pour la conservation éternelle de chacune des vérités révélées ; ensuite, que les écrits de chacun des Pères sont à interpréter uniquement par les principes scientifiques, indépendamment de toute autorité sacrée, avec la liberté critique en usage dans l'étude de n'importe quel document profane.

Enfin, d'une manière générale, je professe n'avoir absolument rien de commun avec l'erreur des modernistes qui tiennent qu'il n'y a rien de divin dans la tradition sacrée, ou, bien pis, qui admettent le divin dans un sens panthéiste, si bien qu'il ne reste plus qu'un fait pur et simple, à mettre au même niveau que les faits de l'histoire : les hommes par leurs efforts, leur habileté, leur génie continuant, à travers les âges, l'enseignement inauguré par le Christ et ses apôtres.

Enfin, je garde très fermement et je garderai jusqu'à mon dernier soupir la foi des Pères sur le charisme certain de la vérité qui est, qui a été et qui sera toujours "dans la succession de l'épiscopat depuis les apôtres", non pas pour qu'on tienne ce qu'il semble meilleur et plus adapté à la culture de chaque âge de pouvoir tenir, mais pour que "jamais on ne croie autre chose, ni qu'on ne comprenne autrement la vérité absolue et immuable prêchée depuis le commencement par les apôtres.

Toutes ces choses, je promets de les observer fidèlement, entièrement et sincèrement, et de les garder inviolablement, sans jamais m'en écarter ni en enseignant ni de quelque manière que ce soit dans ma parole et dans mes écrits. J'en fais le serment ; je le jure. Qu'ainsi Dieu me soit en aide et ces saints Evangiles.





 

« Trêve donc au silence, qui désormais serait un crime! Il est temps de lever le masque à ces hommes-là et de les montrer à l'Église universelle tels qu'ils sont. »

(Saint Pie X, Lettre encyclique Pascendi Dominici Gregis, du 8 septembre 1907 sur les erreurs du modernisme.)

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23/12/2018

« Roráte, cæli, désuper, et nubes pluant iustum : aperiátur terra, et gérminet Salvatórem. »

 

« Cieux, répandez d’en haut votre rosée, et que les nuées fassent pleuvoir le Juste ; que la terre s’ouvre, et qu’elle germe le sauveur. »

 

 

03/12/2018

« Vous vous sentez frappés par une main invisible, qui rend vos égarements visibles à toute la terre. »

« Je trouve ma sûreté contre vos menaces

dans l’obscurité qui me couvre. »

 

« Que ferez-vous à une personne qui parle de cette sorte, et par où m’attaquerez-vous, puisque ni mes discours ni mes écrits donnent aucun prétexte à vos accusations d’hérésie, et que je trouve ma sûreté contre vos menaces dans l’obscurité qui me couvre ? Vous vous sentez frappés par une main invisible, qui rend vos égarements visibles à toute la terre ; et vous essayez en vain de m’attaquer en la personne de ceux auxquels vous me croyez uni. Je ne vous crains ni pour moi, ni pour aucun autre, n’étant attaché ni à quelque communauté, ni à quelque particulier que ce soit. Tout le crédit que vous pouvez avoir est inutile à mon égard. Je n’espère rien du monde, je n’en appréhende rien, je n’en veux rien ; je n’ai besoin, par la grâce de Dieu, ni du bien, ni de l’autorité de personne. Ainsi, mon Père, j’échappe à toutes vos prises. Vous ne me sauriez prendre de quelque côté que vous le tentiez. Vous pouvez bien toucher le Port-Royal, mais non pas moi. On a bien délogé des gens de Sorbonne, mais cela ne me déloge pas de chez moi. Vous pouvez bien préparer des violences contre des prêtres et des docteurs, mais non pas contre moi, qui n’ai point ces qualités. Et ainsi peut-être n’eûtes-vous jamais affaire à une personne qui fût si hors de vos atteintes, et si propre à combattre vos erreurs, étant libre, sans engagement, sans attachement, sans liaison, sans relations, sans affaires, assez instruit de vos maximes, et bien résolu de les pousser autant que je croirai que Dieu m’y engagera, sans qu’aucune considération humaine puisse arrêter ni ralentir mes poursuites. »

 

Blaise Pascal, Provinciales, lettre 17.

 

01/05/2018

"LE LIBÉRALISME EST UN PÉCHÉ", de Don Félix Sarda y Salvany (1841-1916)

Extraits du § XXXI - Pentes par lesquelles un catholique glisse le plus ordinairement dans le libéralisme.

 
« Diverses sont les pentes par lesquelles le fidèle chrétien est entraîné dans l'erreur du libéralisme, et il importe grandement de les indiquer ici, tant pour comprendre par leur étude l'universalité de cette secte, que pour prémunir les imprudents contre ses pièges et ses dangers. Très souvent la corruption du cœur est une suite des erreurs de l'intelligence ; mais plus fréquemment encore, l'erreur de l'intelligence suit la corruption du cœur. L'histoire des hérésies démontre clairement ce fait. Leurs commencements présentent presque toujours le même caractère : c'est une blessure d'amour-propre ou un grief que l'on veut venger ; c'est une femme qui fait perdre à l'hérésiarque la cervelle et son âme, ou bien une bourse d'or pour laquelle il vend sa conscience. Presque toujours l'erreur tire son origine, non de profondes et laborieuses études, mais de ces trois têtes d'hydre que saint Jean signale et qu'il appelle : Concupiscentia carnis, concupiscentia oculorum, superbia vitæ. C'est par là qu'on se précipite en toutes les erreurs, par là qu'on va au libéralisme ; étudions ces pentes dans leurs formes les plus ordinaires.

1° L'homme devient libéral par suite d'un désir naturel d'indépendance et de vie facile. Le libéralisme est nécessairement sympathique à la nature dépravée de l'homme, autant que le catholicisme lui est contraire dans son essence même. Le libéralisme est émancipation, et le catholicisme est frein. Or, l'homme déchu aime par une certaine tendance très naturelle un système qui légitime et sanctifie l'orgueil de sa raison et les emportements de ses appétits. Ce qui a fait dire à Tertullien "l'âme, dans ses nobles aspirations est naturellement chrétienne". De même, en peut dire que : l'homme, par le vice de son origine, naît naturellement libéral. Il est donc logique que dès qu'il commence à comprendre que du libéralisme viendra toute protection pour ses caprices et ses débordements il se déclare libéral en bonne et due forme.

2° Par l'envie de parvenir. Le libéralisme est aujourd'hui l'idée dominante ; il règne partout et principalement dans la sphère officielle. Il est donc une sûre recommandation pour faire son chemin. A peine sorti du foyer paternel, le jeune homme jette un coup d'œil sur les diverses voies qui conduisent à la fortune, à la renommée, à la gloire et s'aperçoit qu'une condition essentielle pour parvenir, c'est d'être de son siècle, d'être libéral. Ne pas être libéral c'est se créer à soi-même les plus infranchissables obstacles. Il lui faut donc de l'héroïsme pour résister au tentateur qui lui montre, comme à Jésus-Christ dans le désert, un splendide avenir en lui disant : Hæc omnia tibi dabo si cadens adoraveris me : "Tout cela je te le donnerai si, prosterné, tu m'adores". Or, les héros sont rares, et il est naturel que la plupart des jeunes gens commencent leur carrière en s'affiliant au libéralisme. Ceci leur vaut des compliments dans les journaux, la recommandation de puissants protecteurs, la réputation d'hommes éclairés et de savants universels. Le pauvre ultramontain a besoin de cent fois plus de mérite pour se faire connaître et pour acquérir un nom ; or, la jeunesse est ordinairement peu scrupuleuse. Le libéralisme, d'ailleurs, est essentiellement favorable à la vie publique après laquelle cet âge soupire si ardemment. Il tient en perspective des députations, des commissions, des rédactions, etc., qui constituent l'organisme de la machine officielle. C'est donc une merveille de Dieu et de Sa grâce qu'il se rencontre un seul jeune homme qui déteste un si perfide corrupteur.

[…] Telles sont les causes ordinaires de perversion libérale, toutes les autres en découlent. Quiconque ne possède qu'une expérience moyenne du monde et du cœur humain pourrait à peine en signaler d'autres. »

 

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Don Félix Sarda y Salvany, Le libéralisme est un péché (1884) - Texte intégral accessible par ce lien, comprenant la préface de S.E. Mgr Marcel Lefebvre à l'édition de 1975, le Décret de la Sacrée Congrégation de l’Index et la Lettre de Don Sarda y Salvany à la Marquise de Tristany (30 août 1885).

"LE DOGME DE LA GRACE", de Jean-Martin Moye (1730-1793)

« La Grâce est un don surnaturel accordé gratuitement à l'homme en vertu des mérites de Jésus-Christ pour l'aider à faire le bien et éviter le mal, le sanctifier, et lui faire mériter la vie éternelle. »

 

« La Grâce est un don de Dieu, une faveur, un bienfait accordé à la créature. C'est un don surnaturel ; il est au-dessus de la nature ; il ne vient point de la nature ; il n'est point dû à la nature. Il est gratuit, parce qu'on ne peut point le mériter. Car si on pouvait la mériter la Grâce serait une justice et une récompense, et non pas une grâce : Si autem gratia, jam non ex operibus, alioqui gratia jam non esset gratia (Rm 11,6). Ce n'est donc point pour nos mérites que la Grâce nous est accordée, mais par les mérites de Jésus-Christ, qui nous a mérité toutes les Grâces du salut par sa Mort et sa Passion. La Grâce nous est donnée pour nous aider à éviter le mal et faire le bien, parce que la nature étant tombée par le péché d'Adam, elle est trop faible pour surmonter ce penchant qui l'entraîne vers le mal, et pour vaincre la difficulté qu'elle a pour le bien. Il faut pour cela que Dieu la soutienne et qu'il lui donne une force divine qui l'élève au-dessus de sa faiblesse naturelle, la rende capable d'agir d'une manière surnaturelle, et faire des œuvres dignes de lui et méritoires de la vie éternelle. Et c'est cette aide, ce secours, cette force divine que l'on nomme proprement Grâce. Sans cette Grâce nous ne pouvons rien par rapport au salut ; avec cette Grâce nous pouvons tout. Ce n'est qu'avec cette Grâce que nous pouvons mériter le Ciel. Les Grâces ont pour fin le salut éternel, au lieu que les biens temporels ne sont donnés prochainement que pour les besoins du corps et les nécessités de la vie présente. Pour le sanctifier et lui faire mériter la vie éternelle : car quoique la seule Grâce habituelle puisse nous justifier et nous mériter le Ciel, cependant toute Grâce tend à la justification et au salut éternel. »

 

Le Dogme de la Grâce.jpgAccès au texte (format PDF)

Le Dogme de la Grâce de Jean-Martin Moye (1730-1793), fut imprimé à Nancy en 1774 par le chanoine Nicolas Raulin (1738-1812), avec Le Traité de l’esprit du monde. La version mise en ligne est établie d’après cette première édition, et celle du Père Georges Tavard (+ 2007). De cette dernière, nous n’avons pas retenu certaines indications modernistes, en particulier les réserves émises sur la question de la prédestination et celles, au titre des innovations conciliaires de la constitution Sacrosanctum concilium, sur le sacrifice au Calvaire, par lequel est « amassé le trésor de toutes les grâces » (3ème partie, chap. IV).

 

 

 

"TRAITE SUR L’ESPRIT DU MONDE", du Bienheureux Jean-Martin Moye (1730-1793), des Missions étrangères de Paris, fondateur de la Congrégation de la Divine Providence.

« Il est temps de faire voir au monde que vous savez mettre des bornes à sa malice quand il vous plaît, et que vous pouvez renverser et confondre son orgueil et sa fausse sagesse par la folie de la Croix. Ouvrez donc les yeux à cette foule de mondains infatués des vanités du siècle. Faites-leur comprendre qu'il n'y a rien de solide hors de vous, que vous êtes seul le centre de notre félicité, et que sans vous il n'y a que trouble, qu'agitation, qu'amertume pour le temps et pour l'éternité.

Du moins, mon Dieu, séparez-vous du milieu de la corruption du siècle un certain nombre d'âmes choisies, à qui vous fassiez sentir par l'efficacité de votre Grâce la folie de cette sagesse mondaine qui nous rend vos ennemis en nous procurant l'estime et l'amitié des hommes, et la sublimité de cette sagesse Chrétienne qui attire sur nous vos regards et vos faveurs, en même temps qu'elle nous rend l'objet du mépris et de la haine des mondains. Mettez-moi, Seigneur, au rang de ces âmes privilégiées. »

 

 

 

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D’après l’édition imprimée à Nancy en 1774 par le chanoine Nicolas Raulin (1738-1812), et celle du Père Georges Tavard (+ 2007).

"Exercice du silence intérieur de PENSEE, de PAROLE & d’ŒUVRE", de Martial d’Étampes, ofmcap (1575-1635)

 

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« Ainsi ces âmes séraphiques n’ayant qu’une pensée, volonté et action en l’objet de Dieu seul, si simplement, si nuement, si paisiblement, elles semblent plutôt souffrir la suave inaction de Dieu que d’agir d’elles-mêmes, et plutôt se taire et se reposer que de penser, dire et faire intérieurement quelque chose. »

 

Extrait du Privilège du Roi.

 

Par grâce et Privilège du Roi, il est permis à Nicolas Fremiot marchand Libraire à Paris, d’imprimer ou faire imprimer, un livre intitulé, Traité facilepour apprendre à faire oraison Mentale, divisé en trois parties principales, à savoir Préparation, Méditation et Affection, avec un Traité de Confession, dédié aux âmes dévotes, le tout fait par un R. Père de l’Ordre de S. François, et défenses sont faites à toutes personnes, d’imprimer ou faire imprimer, vendre ni distribuer ledit livre, d’autre impression que de celle dudit Fremiot, ou autres ayant droit de lui, durant le temps et espace de six ans, sur peine de confiscation des exemplaires, et de trois mil livres d’amende, comme plus au long est contenu audit Privilège. Donné à Paris, le 25. Jour de mars 1628, et de notre règne le 18. / Par le Roi et son Conseil.

SENAULT.

 

[Avant-Propos]

Dieu n’a parlé qu’une fois en l’éternité, pour ce qu’il n’a engendré qu’un Fils qui est sa parole, et si en parlant il n’a point rompu le silence, vu qu’il n’a parlé qu’à soi-même et au-dedans de soi et sans aucun bruit, sa parole n’étant corporelle, mais spirituelle, et sa même pensée. De plus, il a dit cette sienne parole si bas, si profonde et si incompréhensible qu’elle n’est parfaitement entendue que de lui-même, suivant ce qu’en assure cette même parole de Dieu, c’est-à-dire Jésus-Christ : personne ne connaît le Fils (qui est cette divine parole) d’une connaissance éternelle et parfaite, que le Père : parole qui est si intime au Père qui la profère, qu’elle est une même chose avec son essence.

Tellement que Dieu étant trine et un, un en divinité, et trine en personnes, toutes ces personnes divines assistantes au dehors, n’ont qu’une parole très simple, et les trois n’ont qu’une même pensée, tant elles gardent un parfait et non pareil silence. De sorte que si Dieu même en parlant garde un si étroit silence, qu’est-ce donc de Dieu en tant qu’il ne parle pas? L’entende qui pourra, et l’admire qui ne pourra, l’admiration étant des choses qui ne se peuvent comprendre, et Dieu se connaissant ici mieux par voie d’admiration que spéculation, et de pénétration.

Partant, je conclus avec raison que non seulement Dieu est dans le silence de parole, mais aussi de volonté. Toutes les trois personnes divines n’ayant garde d’être en débat par contrariété de volonté, puisqu’elles n’ont qu’une volonté à trois, et qu’elles sont toutes trois cette même volonté, Dieu peut être dit aucunement en silence d’action, parce que toutes les trois personnes divines n’ont qu’une même puissance et action, l’action de l’une étant la même action de l’autre, outre que leur action est si paisible, si suave et si facile qu’elle mérite le nom de silence, disposant de toutes choses fortement et suavement. Il est finalement en silence de toutes sortes de changement et mouvement, pour être essentiellement immobile et immuable, ainsi qu’infini infiniment parfait, en toutes manières, et par conséquent incapable de déchet, d’aucune nouvelle perfection, infini, actuel, ne pouvant recevoir aucune augmentation : d’où suit qu’il est en un entier et perpétuel silence et inviolable repos, voire qu’il est naturellement, silence, paix, repos, le centre de soi-même, des Anges et des hommes.

Cet exercice donc de silence est merveilleusement excellent, puisque c’est l’exercice de Dieu, et son essence même. En suite de quoi, c’est aussi l’exercice et pratique de tous ceux qui désirent être faits un même esprit avec lui, comme l’a pratiqué notre Mère sainte Claire, comme de ceux qui l’avoisinent de plus près par ressemblance, et qui s’unissent plus étroitement à lui comme a fait notre les bienheureux dans le Ciel, à qui Dieu fait entendre cette divine parole, et ce d’une façon coye [tranquille], aussi paisible, suave et silencieuse qu’elle est ineffable au dire de l’Apôtre, qui est la seule chose vue et pensée qui les ravit et suspend tous, en sorte que jamais ils n’en reviennent, cueillant ainsi les fruits pour toujours de cette divine promesse. Entre dans la joie de ton Seigneur, ne leur parlant ainsi qu’une seule fois non plus qu’à soi-même, en se manifestant clairement à eux; mais une seule fois qui dure une éternité, gardant ainsi un tel parfait silence, pour n’avoir jamais qu’une seule vue ou pensée très intime, très suave, très facile, et plus de Dieu que d’eux, et une même volonté avec celle de Dieu, sans contredit avec une seule action d’amour pacifiquement immobile, le clou de leur liberté y étant rivé pour jamais.

Dieu, ou par un mouvement et trait de Dieu particulier, ou par je ne sais quelle impuissance de faire autrement, savoir est par délaissement intérieur qui les rend incapables d’une plus grande et plus actuelle occupation d’esprit, ou par indisposition corporelle qui leur donne le même empêchement. Et c’est l’exercice de la seule chose nécessaire que notre Seigneur recommande tant à Marthe, et dont il louait si hautement Marie, qui aux pieds de cette divine parole (Dieu) qu’elle entendait avec un très profond silence et très universel de toute autre chose, ou d’affection ou de pensée, dans le plus intime et le centre de son esprit.

Ainsi ces âmes séraphiques n’ayant qu’une pensée, volonté et action en l’objet de Dieu seul, si simplement, si nuement, si paisiblement, elles semblent plutôt souffrir la suave inaction de Dieu que d’agir d’elles-mêmes, et plutôt se taire et se reposer que de penser, dire et faire intérieurement quelque chose; et pour l’extérieur pareillement comme si Dieu opérait le tout en elles et par elles, et qu’elles n’en fussent que les organes et instruments, tant elles opèrent le tout avec un calme indicible et une paix ineffable qui surpasse tout sentiment, [elles] disent avec l’Épouse : « Je dors, mais mon cœur, mon Époux veille pour moi, qui dit à toutes les créatures : N’éveillez pas ma bien-aimée jusqu’à ce qu’elle le veuille[1] », c’est-à-dire: ne l’éveillez point du tout, pour ce qu’elle n’est point en état de le vouloir, tant ce sommeil lui est agréable et délicieux ; ou bien, ne l’éveillez point jusqu’à ce qu’elle opère d’elle-même, se jetant dans les multiplicités et occupations qui rompent ce silence et tant doux sommeil, comme celui qui fut donné à notre Mère sainte Claire du Jeudi Saint au Samedi.

L’excellence de cet exercice est telle que le Prophète dit: « C’est une bonne chose d’attendre en silence le salutaire de Dieu[2] ». « Bonne » sans dire de quelle bonté, pour ce qu’elle est ineffable et qu’elle comprend en soi soutes sortes de biens, ainsi que la jouissance du bien infini et souverain est ineffable et incompréhensible.

Cet exercice nous a été enseigné de Jésus naissant, aussi bien que de Jésus prêchant Marthe et Marie: naissant pour ce qu’il naquit au temps de la minuit, que toutes choses sont en très profond silence, comme dit le Sage, afin que cette sienne seconde naissance temporelle répondît à sa première éternelle, grandement silencieuse, comme dit est, et afin que la troisième naissance qu’il prétend faire en nos âmes, soit en quelque façon semblable avec les deux siennes susdites, par la pratique d’un silence universel de toutes nos puissances, en l’objet de quoi que ce soit hors de Dieu. Car autrement comme Dieu ne se manifesta point à Élie dans le tourbillon, ni dans la commotion, ni dans le feu, mais dans un doux respir d’un très agréable zéphire, ainsi Jésus ne se manifeste à nous par cette sienne naissance spirituelle et très intime à l’âme que dans le silence de ,toutes autres choses créées, dedans le recoy [repos] et recueillement de tout mouvement et sentiment désordonné et inquiété, mettant le manteau dessus notre face comme Élie, pour ne rien voir, entendre, odorer, goûter et sentir que Dieu, et dans la minuit de la naissance temporelle de Jésus, ne rien considérer ,que ce Verbe divin, divinement ,inspiré et nouvellement né dans le centre de l’esprit: car c’est lors seulement que Dieu produit clairement, intimement et dans le fond de notre esprit, son Verbe, par lequel il se manifeste à nous, en nous et par-dessus nous, ravissant nos esprits au-dessus de toutes choses en l’objet d’une seule chose incréée et nécessaire, qui nous rend bienheureux dès l’état malheureux de cette vie mortelle. Le bon Jésus, de chair que nous sommes, nous fait en quelque façon Verbe comme lui: lui, nous transformant ainsi en lui, comme de Verbe qu’il était se faisant chair, il s’est transformé en nous.

La pratique de cet exercice

Cet exercice de silence se doit faire à l’exemple de celui de Dieu, qui n’a qu’une seule parole bien simple, spirituelle et sans bruit. Et comme les bienheureux qui louent incessamment Dieu par le silence admiratif de ses immenses grandeurs, commençant par un holà et paix, ainsi devez avoir la paix sur toutes sortes de pensées égarées, imaginations, extravagances, mouvements et sentiments déréglés, recueillant et ralliant toutes les forces et puissances de nos âmes dans le centre de notre esprit, pacifiant et apaisant même toute sorte de mouvements, bons et mauvais, nous faisant quittes de toute autre vue, pensée, désir, crainte, affection, aversion, joie et tristesse. Cela se fait par une seule et simple vue ou souvenir de Dieu, qui tombe doucement dans le fonds de l’esprit, et de l’esprit encore plus doucement et très amoureusement en Dieu, et ce avec une vive foi et une douceur indicible, nous étant donnée, comme dit la Règle, sans étude, et nous efforçant sans force, de faire cette heureuse chute de notre souvenir en Dieu le plus souvent paisiblement, simplement, amoureusement, gaiement et librement qu’il sera possible, sans bandement d’esprit et empressement, ne regardant ni observant cet exercice comme une tâche qu’il nous faut faire, mais comme une récréation sainte et libre, dont la discontinuation nous soit indifférente, quoiqu’involontaire, faisant tout notre possible pour la continuer sans bandement ni attache pourtant, laissant Dieu à lui-même pour aller et venir comme il lui plaira.

Chute ou inclination d’esprit en Dieu qui sera plus reçue que ressentie et imaginée, selon que l’esprit est disposé, comme s’il tombait doucement et sensiblement en Dieu, ou sur la sacrée poitrine de Jésus, et là y demeurant paisiblement, avec la même vive foi, et faisant compagnie au bien-aimé disciple, nous y reposant et endormant avec lui, comme aussi y veillant, parlant et opérant toutes choses sans bouger de là.

Lequel souvenir, chute et repos, fera éclipser tout autre objet importun de l’esprit, et fera rasseoir tout mouvement et sentiment de quoi que ce soit, tout autre objet faisant hommage à celui-ci et donnant dans le néant, comme si sourdement par avouement[3] qu’il n’y a que Dieu qui est et qui mérite d’être et d’occuper et remplir notre esprit, et ainsi cédant la place à l’immense Bonté, l’âme au reste demeurant paisible en ce souvenir pacifique de ce Dieu de paix qui lui tient lieu de tout, et lui sert de tout autre chose, comme ce qui lui vaut mieux incomparablement que tout, et qu’elle doit choisir et chérir aussi plus que tout, comme celui seul qui est conformément au nom propre, qui se donne pour se distinguer de tout autre chose, qui par conséquent n’est point, puisqu’il s’appelle celui qui est, auquel l’âme demeure collée et unie par vive foi, une douce attache d’esprit, une tendre inclination et écoulement de cœur. De sorte qu’elle serait toute prête de dire à Dieu avec saint Simon[4] : « Laissez, Seigneur, aller, passer, pâmer et trépasser votre servante en paix, pour ce que l’œil de mon intelligence simple a vu son salutaire », ressemblant à une neige fondue et écoulée dans son centre aux rayons chaleureux de ce beau Soleil d’Éternité, et doucement attirée au-dessus des temps et de toutes choses dans la divine essence.

Or ce doux, nu, simple, silencieux, amoureux et gracieux souvenir de Dieu contient éminemment tous les autres actes qu’on pourrait produire, comme en dressant son intention de faire les choses pour le pur amour de Dieu, ou pour la seule volonté et gloire de Dieu, comme aussi d’oblation à Dieu de tout ce que l’on peut, ou doit penser, vouloir, opérer et souffrir. Et pareillement tous les désirs de plaire à Dieu, de l’aimer et servir, tous les propos de mieux faire à l’avenir, de s’amender et pratiquer la vertu et les actes de contrition amoureux, et douleur d’avoir offensé Dieu, pour ce que ce premier acte simple envisageant la fin et centre de tous les autres actes, raisonnements et discours d’esprit (qui est Dieu, comme il est), tous ces autres actes s’y trouvent compris, comme les moyens dans la fin, et des lignes dans le centre.

L’âme donc, séraphique selon cet exercice depuis le lever du matin jusqu’au coucher du soir, ne fait autre chose intérieurement à quelque action qu’elle vaque, qui soit profane ou sainte, que de se recueillir toute en la simple vue de Dieu seul, à chaque fois qu’elle y retourne, sortie qu’elle est par les distractions, y rentrant aussi paisiblement et confidemment comme si elle n’en eut bougé, et y demeurant aussi coyement [tranquillement] et assurément comme si elle n’en devait jamais sortir, calmant à son possible toute sorte de mouvements et sentiments du corps, de l’âme et de l’esprit, et même ceux qui s’élèvent et éveillent, imposant silence à tout, aux yeux, aux oreilles, au goût, appétits, parler, inclinations, imaginations, pensées, volontés, désirs, affections, sensualités, satisfactions de la nature, amour-propre et superfluité d’actions non nécessaires en la vue de Dieu, comme si cet objet (Dieu) s’élevait en la suprême portion de l’esprit, ainsi qu’un beau soleil radieux essuyant, par la présence, toutes les ténèbres des distractions, et détruisant les ombres des objets représentant les affections et sentiments des créatures, qui se dissipent et évanouissent bientôt à l’irradiation de ce divin Soleil par le susdit souvenir de Dieu.

Mais si ce simple souvenir de Dieu, par notre indisposition n’étant pas toujours en même état ni également bien disposée, reçue et tirée de Dieu, n’est assez efficace pour tel effet de pacification et de recueillement, et n’exprime pas assez efficacement dans l’intelligence de l’âme la nature et perfection de ce divin objet, comme exclusif de ce divin objet, comme pour une seule fois qu’il nous eut fallu parler intérieurement à l’exemple du Père Éternel, par la seule et simple pensée de Dieu, il nous en faudra parler une seconde plus grossière que la première, et partant plus sortable à notre imagination, et plus capable de l’arrêter et pacifier et de faire impression dans le fonds du silence susdit, par l’expression de ces paroles articulées (« Dieu ») proférées intérieurement ou extérieurement de bouche si besoin est, pour mieux tenir en arrêt l’esprit et l’imagination.

Laquelle seconde manière de parler, plus matérielle que la première qui n’est que la seule pensée ou simple souvenir de Dieu, fut bien entendue du Roi des Prophètes, qui après avoir dit que Dieu ne parle qu’une fois, ajoute qu’il en avait entendu deux de la part des créatures, qui sont les deux susdites. Or cette parole articulée (« Dieu ») n’a pas peu d’effet dans les sentiments du corps et de l’âme, commandant à cette troupe mutine et tumultueuse des passions et folles imaginations de se rasseoir, ainsi que Jésus dans la nacelle où, se levant debout et commandant aux vents, à la mer et à la tourmente, [ils] s’accoisèrent[5] aussitôt, et ainsi cette parole (« Dieu ») a le même pouvoir et effet sur nos sentiments et évagations [divagations], et un pareil effet à celui des paroles de Jésus sur cette troupe armée, ennemi qui fut terrassé par ces deux mots de sa divine bouche[6] : « C’est moi ».

Et si par notre indisposition, cette parole articulée (« Dieu ») n’y fait encore rien, on y pourra ajouter celle-ci: « Dieu Paix », comme disant tout bas, en silence, à nos passions, inclinations, sentiments, imaginations et sensualités: « Dieu, Paix, Paix », c’est-à-dire: « Il ne vous appartient point de parler, mais de vous taire, ni d’ouvrir la bouche, mais de garder le silence, ni d’être et de vivre, mais de mourir, et n’être point, puisqu’il n’y a que Dieu qui est. Paix donc, taisez-vous. » Car il n’appartient qu’à Dieu d’être et de parler, et par sa présence occuper et remplir l’esprit de l’homme, voire tout l’homme, et d’être tout en toutes les puissances de son âme et de son corps, et à se faire ressentir à lui créé et marqué à l’image et semblance de Dieu seul, et non des créatures.

Et si cette parole (« Paix! ») est encore sans effet, l’on pourra se servir de ces deux autres plus expresses à un esprit indisposé : « Rien et Tout », affirmant par elles que tout ce qui n’est point Dieu, quoi qu’il soit, n’est rien, et que Dieu seul est tout, et que partant lui seul doit être l’objet de nos entretiens, affections et sentiments qui ne se doivent porter à rien, mais bien à ce qui est, et qui est par excellence tout bien, voire le bien même que nous croyons faussement trouver en ce que nous nous passionnons, nous reprenant intérieurement de nous tourmenter et passionner ainsi à ce qui n’est rien, désengageant ainsi doucement nos cœurs et nos esprits de tout autre objet inquiétant, pour les porter et faire heureusement tomber dans la paix de Dieu et dans sa sainte opération.

Cet exercice nous a été bien figuré par les saints animaux du Prophète Ezéchiel qui, guidé de l’Esprit de vie qui était dans les roues du chariot auquel ils étaient attelés, cheminaient toujours devant leurs faces, tirant droitement la part où était l’impétuosité de l’Esprit de Dieu, sans gauchir ni retourner en arrière, allant d’un pas aisé, battant les ailes qui faisaient bruit semblable au murmure confus des eaux, et au son de Dieu sublime[7]. Car ces animaux sont les bonnes âmes séraphiques qui ont fait quelque progrès en la voie de Dieu, et qui ne recherchent que Dieu en toutes choses, et n’ont que lui pour moteur de tout ce qu’elles font, qu’ils envisagent toujours de l’œil de leur intelligence simple, qui vont de Dieu, tombant dans leur simple souvenir à Dieu et en Dieu, qui absorbe et noie en lui ce même souvenir et ce avec une suave et paisible impétuosité d’amour.

Mais comment ne voir que Dieu et se voir soi-même, aller droit à Dieu et marcher devant sa face, et se considérant soi-même, ainsi qu’il est dit de ces animaux? Je réponds ce que le Prophète dit d’eux, et par mystère et par symbole de ces belles âmes qui ne regardent que Dieu en premier et dernier instant d’une œillade, qu’elles voient Dieu comme dans un beau miroir, se voient aussi elles-mêmes et tout ce qui se passe en elles bien mieux que si elles se voyaient elles-mêmes par elles-mêmes hors de Dieu. Que ne voient ceux qui voient celui à qui toutes choses sont présentes? Tellement que cheminant avec les ailes d’un souvenir simple et de l’amour pur et nu vers Dieu leur unique objet, avec une douce vivacité et paisible impétuosité d’esprit, comme si elles n’avaient que cela à faire et à voir, elles découvrent en ce divin objet, sans en sortir, tout ce qui se passe et s’élève d’impur et de tumultueux en elles-mêmes, pour se calmer aussitôt: ni plus ni moins que dans un miroir, elles voient les taches et difformités de leur visage, et les ôtent et y appliquent les ornements nécessaires, tellement qu’elles ne s’occupent qu’à une seule chose. Elles en font plusieurs sans sortir de cette unité, et allant impétueusement à cet Un, elles accoisent tout autre mouvement mutin et sentiment rebelle, vaquant à deux choses ensemble bien contraires, au mouvement et au repos, au parler et au silence, faisant reposer et taire tout ce qui n’est point Dieu, pour ne parler ni entendre qu’à Dieu, et pour aller sans cesse de Dieu à Dieu et en Dieu.

Et cette allée et voie de l’âme fait un bruit silencieux comme le murmure confus des eaux et le son de Dieu sublime, pour ce que tout ce qu’elle voit par pensée et sent par amour de Dieu, qui sont ces deux ailes, n’est rien de distinct par autre attribut particulier, ce qui est le son particulier et parler de Dieu, et parlant de soi-même à Moïse, il dit[8] : « Je suis qui suis », sans dire quel il était. C’est aussi le même langage de l’Épouse parlant de son Époux: « Mon bienaimé à moi, et moi à lui[9] », sans spécifier quel est ce bien-aimé, ni quelle est sa bien-aimée, pour donner à entendre qu’il est tout son bien et toutes sortes de perfections, tout désirable; et rien de particulier plutôt que l’autre, étant également tous les biens particuliers, imaginables et au-delà par excellence, et pour dire que son bienaimé lui tient lieu de tout, et non point plus d’une chose que d’une autre, elle ne dit non plus ce qu’elle est à son bien-aimé, pour lui être tout sans retenue, à tout ce qu’il lui plaît en toutes les manières qu’il veut, ayant l’honneur de porter votre nom.

Ma volonté en elle, et en cette pratique que notre Père S. François passait son temps, les jours et les années, en disant: « Mon Dieu », et tout sans lui attribuer aucun nom, et que souvent même étant en ce si grand silence, il ne pouvait nommer le très doux nom de JÉSUS, d’autant que ce son de Dieu, sublime au cœur de mon saint Père Séraphique, tenait le par-dessus [sic] de tout ce qu’on en pouvait penser et qu’on lui pourrait attribuer.

 

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               « (…) souvent même étant en ce si grand silence, il ne pouvait nommer le très doux nom de JÉSUS. »

 

Lequel exercice du silence pratiquait aussi fidèlement, et constamment le Prophète Royal[10], par son témoignage même disant qu’il faisait une bonne provision de Dieu, devant la vue de son Esprit. Nota: qu’il dit toujours et continuellement, et la raison aussi de peur que je m’émeuve et ne m’émancipe de quoi que ce soit, et qu’ainsi je fusse toujours en silence et en paix, à ma droite dit-il, comme la main, plus duite [dressée] au mouvement, plus mobile et plus dans l’emploi, et la première à se mouvoir. Comme n’ayant en butte, ni pour moteur et premier mobile de toutes choses, que Dieu seul, qui lui servait de directeur et de pédagogue pour composer tout son homme intérieur et extérieur, pour régler ses actions et les réduire toutes à son divin plaisir, sans aucun dérèglement ni omission des nécessaires, à la gloire de son Tout, pour la grande habitude qu’il avait fait de la toujours actuelle présence et souvenir de Dieu, [lui] qui faisait le holà à chacun de ses mouvements à mesure qu’ils s’élevaient, les portant aussitôt dans le silence, ce Roi jouissant aussi d’une paix non pareille parmi toutes ses occupations, divertissements et embarras de ses plus grandes affaires. Ce que doivent dévotement pratiquer les âmes fidèles et dévotes.

C’était la pratique de ce grand flambeau d’amour, saint Augustin, qui après s’être mis en quête de Dieu, au-dehors de soi-même, et en avoir demandé des nouvelles à toutes les créatures, les unes après les autres, se reprenant lui-même de cette sortie au-dehors de soi, confesse avec le Prophète d’avoir erré comme la brebis, et d’avoir cherché au-dehors celui qui était au-dedans, avec tant de peine inutile. Mais enfin retournant en soi-même, la lumière étant crue en son cœur, par une grâce particulière, il entendit la voix de Dieu, qui lui dit: « Je suis ton Dieu », paroles qui réduirent tous ses mouvements premiers dans le calme et convertirent tous ses égarements en un profond et tout intime recueillement, lui ôtant tout autre objet, lui faisant voir clairement et sentir nûment qu’il n’y a que Dieu seul, qui, en la connaissance de cette vérité tant ancienne, lui fit amoureusement et abondamment déplorer son aveuglement passé et regretter le temps perdu, et après être illuminé, l’a fait écrier de joie avec S.Michel et le Prophète Royal : « Qui est semblable à Dieu ? ».

Disons donc, mes très chères Sœurs, avec notre bienheureux Père S. François, et notre glorieuse Mère, sainte Claire, qui selon la signification de son nom d’âme de Dieu, l’on peut croire pieusement n’avoir jamais été dans les ténèbres de l’ignorance de Dieu après sa première lumière, mais avoir toujours pratiqué fidèlement cet exercice, disons avec elle plus d’affection, et de fait que de bouche, le grand à Dieu [sic: adieu?] à toutes choses. Ce holà ! et ce silence à tout ce qui est créé, visible et temporel, disant à Dieu, Vérité tant ancienne : « Ô vous mon Dieu, c’est maintenant et pour jamais, ô seul unique amour de mon cœur, ma seule pensée et entretien, tous mes désirs, tous mes plaisirs, tout mon bien et mon espérance sera en vous seul, plus rien du tout, les autres chose avec notre Père Séraphique: et puis, qu’il n’y a rien de semblable à vous, puisque vous êtes tout, et tout le reste rien et vanité.

Laissant donc tout pour jouir de tout dans les affaires nécessaires, ou au temps des exercices de dévotion d’office, d’oraison ou Communion, si ressentez votre esprit dans l’éloignement, durant les distractions et enfoncements, convertissez-vous lors comme le bon saint Pierre, et dites d’un cœur amoureux à votre Époux JÉSUS : « Seigneur, si c’est vous qui êtes, tirez-moi à vous, commandez-moi de venir à vous par votre parole, marchant au-dessus des eaux de toutes choses et de moi-même, pour m’avancer et m’approcher de vous, par une vive et nue foi, qui me fait fouler aux pieds, d’un pas assuré, tout ce qui n’est point vous, de peur qu’en doutant de mes forces dans les eaux des distractions, et que appréhendant les créatures comme si elles étaient quelque chose, je m’y enfonce trop par affection désordonnée et estime trop grande, au hasard de perdre la dévotion et la douce présence de celui que mon cœur doit aimer.

Si votre infidélité vous a fait entendre les reproches qui furent faits à S. Pierre: « Ha! fille et Épouse de peu de foi! Pourquoi avez-vous douté? », ce qui n’arrivera que trop souvent, ne perdez pour toutes ces fautes et autres semblables, la confiance de vous reconvertir encore à votre Époux, et plus cordialement, amoureusement et confidemment: « Ô mon Dieu, les amours de mon âme, sauvez- moi car je suis infidèle! ». Si le faites doucement et fidèlement, espérez la même assistance, par sa grâce. C’est qu’il vous retirera au-dessus de toutes choses et fera reconnaître et ressentir au fonds de votre pauvre cœur que toute autre chose que lui n’est rien, et vous affermira dans le mépris d’icelles, vous élevant par la foi et l’assurance de ce que vous croyez que lui seul est tout et en tout, et toujours frappant à la porte de votre esprit pour le remplir de sa présence, tant [jusqu’à ce] qu’il vous élève enfin de la foi en la claire vision de ce que vous croyez, en laquelle votre joie sera pleine, et partant entièrement en silence, ne vous restant rien plus à désirer ni à demander, possédant et parfaitement pour toujours, celui qui est tout bien, la jouissance duquel a été tant et si souvent désirée de notre Père Séraphique, disant si souvent: « Dieu et [sic: est?] tout », et tout le reste n’être rien. Vivez et mourez comme lui, et jouirez du Tout en tout comme lui. AMEN.

Abrégé de la susdite Pratique du Silence

À cet exercice, le simple souvenir de Dieu suffit pour toujours, comme dit est, continuer la pratique du silence.

Sinon vous y ajouterez la parole expresse (« Dieu ») dit extérieurement, ou intérieurement.

Et si l’évagation [divagation], émotion, sentiment ou peine d’esprit continue, vous dites de pensée, ou de bouche: « Rien, et Dieu » au sens susdit.

Et si la violence croit ou ne s’apaise, vous commencerez par la parole: « Paix, rien moi, Dieu tout », usant de ces cinq paroles, ou du moins selon votre nécessité.

Que si au contraire votre esprit est dans l’engourdissement, assoupissement, et tellement dissipé et extroverti que vous ayez peine à vous récolliger et introvertir, vous vous servirez de ces paroles pour l’éveiller et relever: « Mon Dieu m’est tout », et puis de ces autres désirs, et amour, faim et soif, pour vous entretenir en cet objet de Dieu par un ardent et flamboyant amour de Dieu.

 

Litaniae in honorem Jesu Christi Domini nostri

 

Kyrie eleison, Christe eleison, Kyrie eleison. Jesu audi nos. Jesu exaudi nos, Pater de coelis Deus, Fili Redemptor mundi Deus […].

 

Approbation

Nous sous-signés Docteurs en Théologie, de la Faculté de Paris, maison de Sorbonne à Paris, certifions avoir lu et examiné un livre, portant pour titre, Exercice du Silence intérieur, de pensée, de parole, et d’œuvre, pour être toute unie et absorbée en Dieu seul: auquel nous n’avons rien trouvé de contraire à la Foi Catholique, Apostolique et Romaine. Fait à Paris, en la maison de la Sorbonne, le 3 du mois de mai 1629.

 

Textes et notes, d’après Martial d’Étampes, Maître en Oraison, textes présentés par Joséphine Fransen & Dominique Tronc, Éditions du Carmel, Toulouse, septembre 2008.



[1] 47. Ct 3, 5.

[2] Lam. 3, 26.

[3] advouëment.

[4] Saint Siméon (version de 1722), cf. Lc 2,29-30.

[5] Accoiser: rendre coi, calme, tranquille.

[6] Au jardin des Olives, cf. Jn 18,6.

[7] Ez 1, 15sv.

[8] Ex 3, 14.

[9] Ct 2, 16.

[10] David.

 

 

29/01/2018

« Dans ce temps que je ne sortais plus les fêtes ni les dimanches pour assister au service, je fis une église de ma prison. »

« Je voudrais qu’on eût vu combien cela est beau et dévot, de se trouver ainsi seule au milieu de la nuit à bénir Dieu dans une prison, chantant ses louanges sans pouvoir être entendue que de lui et sans entendre quoi que ce soit qu’un profond silence. »

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«  (…) et je suivais en esprit tout ce que le prêtre dit dans le sacrifice, car elles m’avaient prêté un missel »

(Angélique de Saint-Jean Arnauld d'Andilly, abbesse, rappelée à Dieu le 29 janvier 1684)

 

« Dans ce temps que je ne sortais plus les fêtes ni les dimanches pour assister au service, je fis une église de ma prison, et je chantais presque tout l’office seule ces jours-là, à nos heures ordinaires. Je chantais de même ce que le chœur chante aux grand-messes, quand je le savais bien, et au moins, le Kyrie, le Gloria, le Sanctus et Agnus Dei, et je suivais en esprit tout ce que le prêtre dit dans le sacrifice, car elles m’avaient prêté un missel, de sorte que le temps que je donnais à entendre la grand-messe de cette sorte allait au moins à une heure et demie, et ainsi il ne m’en restait point à m’ennuyer ; toute ma matinée était aussi remplie que si j’eusse suivi la communauté chez nous. Je faisais de même les processions seule autour de notre chambre, en tenant une croix à ma main et en chantant ce qui s’y devait dire, et de même de l’eau bénite les dimanches, dont j’aspergeais tout autour de la chambre en chantant Asperges me, et mon intention était de chasser par cette aspersion toutes les malices spirituelles dont j’appréhendais la tentation partout, d’autant plus que je n’avais personne pour m’aider à me défendre. Je jetais de l’eau bénite sur notre lit pour chasser l’esprit de paresse, sur la table où je mangeais contre la délicatesse, dans la ruelle qui me servait d’oratoire pour en éloigner la distraction, à l’endroit où je travaillais pour me garantir de la curiosité et de l’attache à mon ouvrage, mais surtout à la porte de la chambre, de peur que l’esprit de séduction n’y entrât avec celles qui tâchaient à l’y amener, ou qu’au moins l’impatience et l’indiscrétion ne me fissent faire de fautes quand on venait interrompre ma solitude par quelque visite.

Les grandes fêtes, que nous devions chanter matines, je me levais, quand je pouvais m’éveiller, quelquefois dès minuit ou à une heure ou deux, et je chantais de même tout ce que je pouvais chanter de matines, car je n’avais pas assez de voix pour chanter tous les psaumes, et je me contentais d’ordinaire de chanter le Venite, l’hymne, les antiennes et les répons que je savais, et toutes les fêtes où l’on doit chanter Laudes, le Te Deum, les antiennes, l’hymne et le Benedictus, si je le pouvais. Pour ce qui est de cela, je voudrais qu’on eût vu combien cela est beau et dévot, de se trouver ainsi seule au milieu de la nuit à bénir Dieu dans une prison, chantant ses louanges sans pouvoir être entendue que de lui et sans entendre quoi que ce soit qu’un profond silence, au milieu de cette grande ville, dont on en cesse point d’entendre le bruit qu’à cette heure-là, car jusqu’à plus de onze heures les carrosses roulent encore . »

 

Angélique de Saint-Jean Arnauld d’Andilly (1624-1684), Aux portes des ténèbres. Relation de captivité, Gallimard, 1954.

 

 

21/01/2018

« Je prie Dieu de me pardonner tous mes péchés, j’ai cherché à les connaître scrupuleusement, à les détester et à m’humilier en sa présence, ne pouvant me servir du Ministère d’un Prêtre Catholique. »

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16/11/2017

L’Extrême-Onction de Charles Maurras (Saint-Symphorien-lès-Tours, 16 novembre 1952)

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« Toute ma vie j’ai lutté et je lutterais encore pour ce trésor 

de beauté, de sagesse et de sainteté. »

 

     –  Si vous alliez plus mal, est-ce que vous accepteriez de recevoir les derniers sacrements ?

     La réponse vint immédiatement, articulée fermement :

     – Oui, certainement. C’est mon désir. 

     Il ajouta :

     – J’ai déjà reçu une fois l’Extrême-Onction, il y a une dizaine d’années ; mais j’étais dans le coma. Je n’ai eu conscience de rien, et c’est par des amis que j’ai su que j’avais reçu ce sacrement. C’est en pleine connaissance, cette fois, que je veux être administré, car je veux que tout se passe dans la loyauté et dans l’honneur. On ne termine pas sa vie par une supercherie. C’est pourquoi j’ai besoin de quelques jours encore.

     Ces paroles étaient dites avec une telle fermeté et marquaient une décision si irrévocable que je me fardai d’insister.

     – Pensez à vos morts demain et lundi, lui dis-je simplement.

     – Je pense à eux bien souvent et j’ai la ferme espérance de les revoir. Toute ma vie, j’ai été un homme d’espérance. Pour mes morts, j’ai espéré, souhaité, demandé le bonheur dans une autre vie ; pour mon pays je n’ai cessé d’espérer le relèvement et le salut ; c’est moi maintenant que j’espère. Ma vie s’achève. J’ai beaucoup travaillé pour la France, pour ce beau pays de qui j’ai tout reçu. J’aurais aimé vivre encore quelques temps pour continuer à le servir, pour le voir sortir de ses ruines et rentrer dans son ordre monarchique et catholique, retrouver ses traditions. Toute ma vie j’ai lutté et je lutterais encore pour ce trésor de beauté, de sagesse et de sainteté. Je sais que je n’aurai pas travaillé en vain. Si j’ai pu rendre à quelques français la fierté de leur tradition, je n’ai pas perdu mon temps. Mon œuvre plaidera devant Dieu qui me jugera. J’ai eu, moi aussi, ma mission et j’ai vécu pour elle.

     J’écoutais avec une très vive émotion ce vieillard s’exprimer avec tant de noblesse et de simplicité. Ce qu’il me disait m’apparaissait comme son testament spirituel et, pour la première fois, je comprenais pleinement le sens profond de cette longue vie de labeur, de luttes incessantes et d’épreuves si fièrement supportées. Je pris la main qui reposait près de moi sur le lit, celle qui avait tenu la plume comme une épée de feu et qui, maintenant, vieillie et sans force, s’abandonnait. Lentement, j’y posais mes lèvres.

     Maurras eut alors un sursaut. Il retira vivement sa main et me dit d’une voix tremblante d’émotion :

     – Qu’avez-vous fait, Monsieur l’Abbé ? Je ne suis pas digne. Je ne suis qu’un pauvre homme. C’est moi qui devrais vous baiser votre main de prêtre. N’était-ce pas assez que vous me bénissiez ?

     Des larmes brillaient dans ses yeux lorsqu’il ajouta :

     – Votre témoignage d’amitié et de confiance m’aide à oublier bien des choses. Il est déjà pour moi un pardon et une récompense.

     Aussi émus l’un que l’autre, nous nous séparâmes et, tandis que je le bénissais d’un lent signe de croix sur le front, il me dit :

     – je vous remercie. A bientôt !

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     (…) Le mardi suivant, qui était la fête de saint Martin, je recommandai à notre grand saint tourangeau l’âme qui m’avait été confiée et pour laquelle mon souci grandissait. Je le suppliai instamment de joindre son intercession à celles, déjà tant de fois sollicitées, de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et du Bienheureux Pie X.

     Ce fut le surlendemain, jeudi 13 novembre, que ma prière fut exaucée.

     Comme j’arrivais à la clinique ce jour-là même, au commencement de l’après-midi, je rencontrai la Supérieure de la communauté qui me dit :

     – Vous arrivez bien, car Monsieur Maurras vous a fait demander, et je me préparais à vous téléphoner.

     Elle me raconta que le matin, lorsque la garde de nuit était entrée comme d’habitude dans la chambre de Maurras, celui-ci avait demandé :

     – Comment me trouvez-vous ?

     La même question, il l’avait posée, une heure après, à la sœur infirmière chargée de lui donner des soins. Les réponses avaient été à peu près identiques :

     – Je ne vous trouve pas bien. Il me semble que vous allez moins bien ce matin.

     Il n’avait rien répondu ; mais vers la fin de la matinée, il avait demandé qu’on prévînt le Chanoine Cormier.

     Je priais alors la sœur infirmière de préparer tout ce qui était nécessaire pour l’administration des derniers sacrements.

     Ayant revêtu le surplis et l’étole, j’entrai dans la chambre de Maurras. Dès qu’il me vit, il s’excusa du dérangement qu’il croyait me causer et il ajouté :

     – Il est temps que vous m’aidiez à accomplir ce qu’il faut que je fasse…

     A la fin de notre entretien, qui devait être le dernier, Maurras joignit les mains, récita le Confiteor et reçut l’absolution.

     Pendant la cérémonie de l’Extrême-Onction, il suivit attentivement tous les rites, s’offrant aux onctions, particulièrement à celle des mains qu’il me présenta lui-même l’une après l’autre.

     Lorsque la dernière prière fut achevée, Maurras prit ma main dans les siennes, la porta à ses lèvres et me dit :

     – Je vous remercie beaucoup de tout ce que vous venez de me donner. Dites aussi ma grande reconnaissance à Monseigneur. Continuez à prier pour moi.

     Je le bénis et me retirai, accompagné de sœur Thérèse qui avait répondu aux prières de l’Extrême-Onction. Elle exprima ses sentiments et les miens par ces simples mots : Deo Gratias ! C’était bien, en effet, ma reconnaissance que j’offrais à Dieu quelques minutes plus tard, dans la chapelle de la clinique, en récitant le Magnificat de l’action de grâces.

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     Le vendredi dans la matinée, je me rendis de nouveau au chevet de Maurras. De plus en plus faible il paraissait assoupi. La supérieure des sœurs qui m’accompagnait lui prit la main et la secoua doucement. Il ouvrit les yeux, me regarda, et un sourire de bonheur que je ne lui connaissais pas éclaira son visage.

     – Merci d’être venu, me dit-il, et il retomba presque aussitôt dans son assoupissement. Ce fut la dernière fois que j’eus son sourire et que j’entendis sa voix. Il m’avait dit adieu.

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     La fin approchait. Je m’en étais rendu compte en entendant le souffle oppressé et court du malade. Le samedi dans la soirée, je fis part de mes appréhensions à son neveu Jacques Maurras qui venait d’arriver et que je rencontrai à la clinique.

     Le lendemain, en effet, en la solennité de la fête de saint Martin, l’un des patrons de la France, Charles Maurras rendait paisiblement le dernier soupir, après avoir demandé quelques heures auparavant son chapelet que François Daudet lui posé sur la poitrine.

     La Supérieure de la communauté me fit part aussitôt du décès et me donna quelques détails sur les derniers moments.

 

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« Et je ne comprends rien à l’être de mon être,

Tant de Dieux ennemis se le sont disputé !

Mes os vont soulever la dalle des ancêtres,

Je cherche en y tombant la même vérité. »

(La Prière de la fin, juin 1950)

 

     Je me rendis alors près du corps que veillaient pieusement Jacques Maurras, François Daudet et Madame Calzant.

     Maurras reposait sur son petit lit de clinique, les mains jointes et entourées de son chapelet.

     En priant, je contemplais son visage dont la mort révélait la noblesse et la beauté, ce visage que j’avais connu si mobile, si vivant, si passionné !

     Les paroles que Benjamin mourant m’avait adressées me revenaient à la mémoire :

     « Quelle grande chose que la mort !... J’ai cherché Dieu toute ma vie. Je l’ai aimé sans le connaître. Enfin, je vais le voir ! »

 

     Maurras n’avait-il pas écrit lui aussi ?

 

         Je suis né, je suis fait pour la lumière

         Accorde-moi d’éterniser le jour.

 

     Quatre jours après cette ultime visite, la dépouille mortelle de Charles Maurras était conduite à l’église Saint-Symphorien de Tours, où elle recevait les honneurs et les prières de l’Eglise, au milieu d’une assistance très nombreuse et profondément recueillie.

     Après tant d’appels à la miséricorde divine, l’Eglise, elle aussi, faisait entendre sa voix et prenait à son compte dans une dernière prière le vœu suprême de ses enfants :

 

     Lux aeterna lucaet eis, Domine ; cum sanctis tuis in aeternum quia pius es.

 

                                      Grand séminaire de Tours,

                                           Janvier-février 1953.

 

Chanoine A. Cormier, Mes entretiens de prêtre avec Charles Maurras, Plon, 1953.





  

 

01/10/2017

« En moi est toute la grâce de la voie et de la vérité ; en moi est toute l’espérance de la vie et de la vertu : j’ai porté des fruits comme le rosier planté près des eaux courantes. »

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SACRATISSIMI ROSARII B. MARIÆ VIRG.

« Dóminus possédit me in inítio viárum suárum, ántequam quidquam fáceret a princípio. Ab ætérno ordináta sum et ex antíquis, ántequam terra fíeret. Nondum erant abýssi, et ego iam concépta eram. »

 

« Yahvé m’a créée au début de ses dessins, avant ses œuvres les plus anciennes. Dès l’éternité je fus fondée, dès le commencement, avant l’origine de la terre. Quand l’abîme n’était pas, je fus enfantée, quand n’étaient pas les sources jaillissantes. Avant que fussent implantées les montagnes, avant les collines, je fus enfantée ; avant qu’il eût fait la terre et la campagne et les premiers éléments de la poussière du monde. Quand il affermit les cieux j’étais là, quand il traça un cercle à la surface de l’abîme, quand il condensa les nuées d’en-haut, quand il fixa les sources de l’abîme, quand il assigna son terme à la mer – et les eaux n’en franchiront pas le bord – quand il affermit les fondements de la terre, j’étais à ses côtés comme le maître d’œuvre, faisant ses délices, jour après jour, m’ébattant tout le temps en sa présence, m’ébattant sur la surface de la terre et mettant mes délices à fréquenter les enfants des hommes. »

(Les Proverbes, VIII, 22-31, trad. école biblique de Jérusalem, Cerf, 1955, pp. 950-951)

 

« Pénétrant toute réalité, elle habite les cœurs en tant que pur reflet de la Lumière divine, c’est la sainte auxiliaire du Plan divin, la pieuse servante du Seigneur collaborant depuis l’origine des choses, visibles et invisibles, à l’œuvre créatrice, la féconde dispensatrice des grâces vivifiantes répondant, avec une docilité parfaite et un doux acquiescement, aux volontés célestes. On peut d’ailleurs, sans peine, la comparer à la « Providence » qui dirige secrètement l’Histoire et confère aux hommes le salut de leurs âmes. »

(Jean-Marc Vivenza, La « Sophia » et ses divins mystères, Arma Artis, 2009, p.18)

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04/06/2017

"Sans ta puissance divine, il n'est rien en aucun homme, rien qui ne soit perverti."

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Juan Bautista Maíno (1581-1649), Pentecôte.

 

« Si l’homme n’a de son fond que le mensonge & le pêché, ne faut-il pas reconnaître que tant qu’il n’agit que par les forces de sa nature, il ne peut produire que le pêché, puisqu’il ne trouve autre chose en soi. Enfin, nous pouvons encore joindre (…) ce qui se trouve dans la prose que l’Église chante pendant l’octave de la Fête de la Pentecôte, dans laquelle elle publie hautement que l’Esprit Saint est tellement l’auteur de tout le bien qui se fait dans la créature, que sans la grâce il n’y a rien en elle que de criminel, sine tuo numine, nihil est in homine, nihil est innoxium[1]. De tout cela, il est aisé de conclure avec saint Augustin, & de dire, Nemo computet bona opera sua ante fidem ; ubi fides non erat, bonum opus non erat : Que personne ne compte les bonnes œuvres qu’il a faites auparavant que d’avoir la foi ; lorsqu’il n’avait pas encore cette vertu, il était incapable de faire aucun bien, la foi étant comme l’aînée des grâces de notre cœur. »

Martin de Barcos, Exposition de la foi catholique touchant la grâce et la prédestination (1696)


 

[1] Veni Sancte Spiritus, extrait du Missale Romanum du Concile de Trente (1545-1563)

 

26/07/2016

"L’horreur de son sacrilège vient de ce qu'il profane non un lieu ou un vase saint, mais un corps qui est la source de toute sainteté, qui est celui de Jésus-Christ."

« A l'heure de la mort, Jésus-Christ descendra, un flambeau à la main, dans ces cœurs sacrilèges, y trouvera son sang adorable tant de fois profané, qui criera vengeance. O divin Sauveur, la colère et la puissance de votre Père sera-t-elle assez puissante pour foudroyer ces malheureux Judas au plus profond des abîmes ? »

╬ En pieux hommage au Père Jacques Hamel ╬

(30 novembre 1930 – 26 juillet 2016)

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«  […] Oui, M.F., le sacrilège paraît si affreux qu'il semble impossible que des chrétiens puissent se rendre coupables d'un tel crime ; et cependant, rien de si commun. Jetons un coup d’œil sur les communions, combien ne trouverons-nous pas de confessions et de communions faites par respect humain ! Combien par hypocrisie, par coutume ! combien que, si les Pâques ne revenaient que tous les trente ans, ils ne communieraient, hélas ! jamais... Combien d'autres, qui ne voient venir ce temps si précieux qu'avec peine, et qui ne s'en approchent que parce que d'autres le font, et non pour plaire à Dieu et nourrir leur pauvre âme. Preuve bien évidente, M.F., que ces confessions et communions ne valent rien, puisque l'on ne voit point de changement dans leur manière de vivre. Les voit-on après la confession plus doux, plus patients dans leurs peines et les contradictions de la vie, plus charitables, plus portés à cacher et à excuser les fautes de leurs frères ? Non, non, M.F., il n'est plus question de changement dans leur conduite ; ils ont péché jusqu'à présent, ils continuent. Oh ! malheur épouvantable, mais bien peu connu du plus grand nombre des chrétiens ! O mon Dieu, auriez-vous pu penser que vos enfants se portassent avec un tel excès de fureur contre vous ? Non, non, M.F., ce n'est pas sans raison, que l'on place un crucifix sur la table de la communion, hélas ! que de fois il est crucifié à la Table sainte ! Regarde-le bien, mon âme, toi qui oses planter le poignard dans ce cœur qui nous a aimés plus que lui--même ; regarde-le bien, c'est ton Juge, Celui qui doit fixer ta demeure pour l'éternité. Sondez bien votre conscience ; si vous êtes en mauvais état, malheureux, n'avancez pas. Oui, Jésus-Christ est ressuscité de la mort naturelle, et il ne mourra plus ; mais cette mort que vous lui donnez par vos communions indignes, ah ! quand est-ce qu'elle finira ? O quelle longue agonie ! étant sur la terre, il n'y avait qu'un calvaire pour le crucifier ; mais ici, autant de cœurs, autant de croix où il est attaché ! O patience de mon Dieu, que vous êtes grande, de souffrir tant de cruautés sans dire un seul mot, même pour vous plaindre, étant traité si indignement par une vile créature, pour laquelle vous avez déjà tant souffert ! Voulez-vous, M.F., savoir ce que fait celui qui communie indignement ? écoutez-le bien, afin que vous puissiez comprendre la grandeur de votre atrocité envers Jésus-Christ. Que diriez-vous, M.F., d'un homme dont le père serait conduit dans un lieu pour être exécuté à mort, si, ne se trouvant point là de potence pour l'attacher, il s'adressait aux bourreaux, leur disant : Vous n'avez point de potence, voilà mes bras, servez-vous-en pour y pendre mon père ? Vous ne pourriez voir une telle action de barbarie sans frémir d'horreur, il y aurait sans doute bien de quoi. Eh bien ! M.F., si j'osais, je vous dirais que cela n'est encore rien, si nous le comparons au crime épouvantable que commet celui qui communie indignement. En effet, quels sont les bienfaits qu'un père a faits à son enfant, si nous les comparons à ce que Jésus-Christ a fait pour nous ? Dites-moi, M.F., si vous faisiez ces réflexions avant de vous présenter à la Table sainte, auriez-vous le courage d'y aller sans bien vous examiner ce que vous allez faire. Oseriez-vous bien y aller avec des péchés cachés, déguisés, confessés sans contrition et sans désir de les quitter ? Voilà ce que vous dites au démon, lorsque vous êtes si aveugles et si téméraires : Il n'y a ni croix, ni calvaire comme autrefois ; mais j'ai trouvé quelque chose qui peut y suppléer. – Quoi ? vous dit le démon, tout étonné d'une telle proposition. – C'est, lui dites--vous, mon cœur. Tenez-vous prêt, je vais me saisir de lui ; il vous a précipité dans les enfers, vengez-vous à votre tour, égorgez-le sur cette croix. – O mon Dieu, peut-on penser à cela sans frémir d'horreur ? Cependant, voilà ce que fait celui qui communie indignement. Ah ! non, non, jamais l'enfer dans toute sa fureur n'a rien pu inventer de semblable. Non, non, quand il y aurait mille enfers pour un seul profanateur, cela ne serait rien, si nous le comparons à la grandeur de son crime. « Que fait, nous dit saint Paul, celui qui communie indignement ? Hélas ! ce malheureux, il boit et mange son juge et son jugement. » L'on a bien vu, selon les lois, lire aux criminels leur condamnation, mais a-t-on jamais vu leur faire manger leur sentence de condamnation, et, de cette sorte, de leur condamnation et d'eux--mêmes ne faire qu'une même chose ? O malheur épouvantable ! ce n'est plus sur du papier qu'est écrit l'arrêt de réprobation de ces profanateurs, mais sur leur propre cœur. A l'heure de la mort, Jésus-Christ descendra, un flambeau à la main, dans ces cœurs sacrilèges, y trouvera son sang adorable tant de fois profané, qui criera vengeance. O divin Sauveur, la colère et la puissance de votre Père sera-t-elle assez puissante pour foudroyer ces malheureux Judas au plus profond des abîmes ? Eh bien ! M.F., avez-vous compris ce que c'est qu'une communion indigne, vous qui vous confessez avec si peu de préparation, qui y donnez moins de soins que vous n'en donneriez pour l'affaire la plus commune et la plus indifférente ? Dites-moi, M.F., pour être tranquilles comme vous le paraissez, êtes-vous bien sûrs que toutes vos confessions et vos communions ont été accompagnées de toutes les dispositions nécessaires pour être bonnes et mettre votre salut en sûreté ? Avez-vous bien détesté vos péchés ? Les avez-vous bien pleurés ? En avez-vous bien fait pénitence ? Avez-vous bien pris tous les moyens que le bon Dieu vous a inspirés pour n'y plus retomber ? Revenez, mon ami, sur vos années passées, examinez toutes les confessions et communions qui n'ont été accompagnées d'aucun amendement, point de changement dans votre vie. Prenez le flambeau à la main, vous--même, pour voir l'état de votre âme, avant que Jésus-Christ ne vous le fasse voir lui-même pour vous juger et vous condamner pour jamais. Frémissez, M.F., sur cette grande incertitude de la validité de tant de confessions et de communions ; une seule chose doit vous empêcher de tomber dans le désespoir, c'est que vous êtes en vie et que le bon Dieu vous offre sa grâce pour vous tirer de cet abîme dont la profondeur est infinie, et que pour cela il ne faut rien moins que la puissance d'un Dieu. Hélas ! M.F., que de chrétiens qui maintenant brûlent dans les enfers, qui ont entendu les mêmes choses que vous entendez aujourd'hui, mais qui n'ont pas voulu en profiter, quoique leur conscience criait ! Mais, hélas ! ils n'ont voulu en sortir que quand ils n'ont pas pu, et sont tombés dans les enfers. Hélas !combien parmi ceux qui m'écoutent qui sont de ce nombre, qui auront le même sort ! Mon Dieu, est-il bien possible de connaître son état et de ne pas vouloir en sortir. – Mais, me direz-vous, qui osera donc s'approcher de la Table sainte, et qui osera espérer d'avoir fait une bonne communion dans sa vie ? Pourra-t-on bien se lever pour aller à la Table sainte, ne va-t-il pas sembler qu'une main invisible va me repousser et me frapper de mort ? – Mon ami, pour cela je ne vous en dis rien ; sondez votre conscience, et voyez dans quel état elle est ; voyez si en sortant de la Table sainte vous paraîtriez avec confiance devant le tribunal de Jésus-Christ. -Mais, me direz-vous, il vaut mieux tout laisser que de s'exposer à un tel crime. – Mon ami, en vous donnant une idée de la grandeur du sacrilège, ce n'a pas été mon intention de vous éloigner de la sainte communion, mais seulement de faire ouvrir les yeux à ceux qui sont de ce nombre, pour réparer le mal qu'ils ont fait, pendant qu'il est temps, et pour porter ceux qui ont l'espérance d'être exempts de ce crime épouvantable, à y apporter encore des dispositions plus parfaites. »

Jean-Marie Baptiste Vianney, saint Curé d’Ars (1786-1859), Sermon sur la communion indigne.

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03/02/2016

"La Chrétienté pleure en se revêtant d’un sac et de cendre"

Friedrich von Schiller (1759-1805), Wallensteins Lager (1799), huitième tableau, scène 8, « le sermon du capucin »

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« (…) Est-ce là une armée de chrétiens ? Sommes-nous des Turcs ? Sommes-nous des anti-Baptistes? Que nous en sommes à trouver le dimanche ridicule, comme si Dieu Tout-Puissant avait la goutte et ne pouvait même plus frapper ? Est-il arrivé maintenant le temps de beuveries? Pour les banquets et les jours fériés ? Pourquoi êtes-vous debout avec les mains sur ses genoux ? La furie de la guerre se déroule sur le Danube, le rempart de la Bavière est tombé, Ratisbonne est dans les griffes de l’ennemi, et l’armée est ici tranquillement en Bohême, s’occupant de sa panse, ne pensant plus que peu à la douleur, se souciant plus de la cruche que la guerre, aiguisant plutôt le bec que le scalpel, préférant tourner autour de la femme de chambre, mangeant du bœuf plutôt que titiller le cœur des soldats d’Oxenstirn.

La Chrétienté pleure en se revêtant d’un sac et de cendre, le soldat ne pense qu’à se remplir les poches. C’est un temps de larmes et de détresse, dans le ciel, on voit des signes et des phénomènes, et des nuages, rouges comme le sang, le Seigneur déroule son manteau de guerre. La comète est tenue, comme une tige, menaçante de la fenêtre du ciel, le monde entier est une maison explosée, l’Arche de l’Eglise nage dans le sang, et l’Empire romain  que Dieu ait pitié ! devrait maintenant s’appeler l’Armée romaine ; les flots du Rhin se sont transformés en flots de chagrin, les monastères sont des nids éviscérés, les couvents sont ouverts à tous les vents, les abbayes et les lieux de culte sont maintenant des granges et des repaires de voleurs, et toutes les terres allemands bénies ont été transformées en champs de terreur… Pourquoi ça ? Je vais vous le dire : la cause à vos vices et à vos péchés, des abominations et des vies païennes, auxquelles les officiers et les soldats se livrent. Car le péché est comme une pierre d’aimant, qui attire le fer dans ce pays. A l‘injustice succède le malheur, comme la larme l’est avec l’oignon, comme derrière le L vient tout de suite le M du malheur, tel est l’ordre dans l’A B C.

Où conduit l’espoir dans la victoire, si elle offense Dieu ? Comment peut-on gagner si l’on oublie le sermon et la mesure, qu’on ne fasse rien que de vivre dans les tavernes ? La femme dans l’Evangile retrouve l’argent qu’elle avait perdu, du cheval les ânes de son père, de Joseph ses aimables frères ; mais qui recherche, chez nos soldats, la crainte de Dieu et la bonne éducation et la retenue, ne trouvera pas grand chose, même s’il mettait le feu à des centaines de lanternes !

Pour le prédicateur dans le désert, comme nous le lisons dans l’Evangile, se pressaient également les soldats, après des actes de repentance, ils étaient baptisés, ils lui demandaient : nos de faciemus Quid? Que devons-nous faire pour entrer dans le sein d’Abraham ? Et ait illis, et il dit : ne violentez ni ne persécutez personne ; ne blasphémez personne, ne mentez à personne. [Estote Contenti], contentez-vous [Stipendiis Vestris] de vos salaires et maudissez chaque mauvaise habitude.

Il est un commandement qui dit Tu dois du nom de notre Seigneur ne jamais jurer ! Et où entend-on plus blasphémer, que dans les quartiers de guerre de Friedland ?

Si, pour tous les tonnerres et les éclairs, que vous proférer avec votre langue fourchue, les cloches devaient sonner dans tout le pays, il ne serait bientôt plus possible de trouver un seul sacristain. Et si à chacune de vos ignominies, qui par votre bouche sort, un cheveu tombait de votre tête, à la nuit venue, vous seriez chauve comme un crâne, et même si vous aviez la tignasse épaisse d’Absalon ! Josué était lui aussi un soldat, Roi David tua Goliath, et où est-il écrit dans tout ce qui peut être lu, qu’une quelconque malédiction soit dite ? Faut-il ouvrir plus grande sa bouche, pour remercier Dieu de lui venir en aide  que pour blasphémer sur la croix ! Mais quand la cuve est pleine, elle bouillonne puis déborde.

Un autre commandement est : « Tu ne voleras pas ! » Oui, vous le suivez à la lettre ! Parce que vous emportez tout sans vous cacher ! Avec vos griffes et vos becs de vautours, avec vos coupables pratiques et vos mauvais tours l’argent sous les draps n’a aucune protection. Le veau n’est même pas en sécurité dans la vache ! Vous prenez l’œuf et la poule par dessus le marché !

Que disait le prédicateur ? estote contenti, [contenti estote stipendiid Vestris : Contentez-vous de votre salaire] Contentez-vous de votre pain.

Mais comment être un des serviteurs de la louange, quand l’exemple ne vient pas d’en haut ! Car les membres sont à l’image de la tête ! Blanc comme personne, mais pas de celui qui a la foi ! »

06/01/2016

« Espérez et priez ; la prière obtient tout. Votre fils n'est pas perdu ; vos yeux le reverront avant de se fermer. Attendez en paix les jours de Dieu. »

 

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« Ce que vos yeux voient, ce que touchent vos mains, ce ne sont que des ombres, et le son qui frappe vos oreilles n'est qu'un grossier écho de la voix intime et mystérieuse qui adore, et prie, et gémit au sein de la création.[1] Car toute créature gémit, toute créature est dans le travail de l'enfantement, et s'efforce de naître à la vie véritable, de passer des ténèbres à la lumière, de la région des apparences à celle des réalités. Ce soleil si brillant, si beau, n'est que le vêtement, l'emblème obscur du vrai soleil, qui éclaire et échauffe les âmes.[2] Cette terre, si riche, si verdoyante, n'est que le pâle suaire de la nature : car la nature déchue aussi, est descendue comme l'homme dans le tombeau, mais comme lui elle en sortira. Sous cette enveloppe épaisse du corps, vous ressemblez à un voyageur qui, la nuit dans sa tente, voit ou croit voir des fantômes passer. Le monde réel est voilé pour vous. Celui qui se retire au fond de lui-même l'y entrevoit comme dans le lointain. De secrètes puissances qui sommeillaient en lui se réveillent un moment, soulèvent un coin du voile que le temps retient de sa main ridée, et l'œil intérieur est ravi des merveilles qu'il contemple. Vous êtes assis au bord de l'océan des êtres, mais vous ne pénétrez point dans ses profondeurs. Vous marchez le soir le long de la mer, et vous ne voyez qu'un peu d'écume que le flot jette sur le rivage. À quoi vous comparerai-je encore ? [3] Vous êtes comme l'enfant dans le sein de sa mère, attendant l'heure de la naissance ; comme l'insecte ailé dans le ver qui rampe, aspirant à sortir de cette prison terrestre, pour prendre votre essor vers les cieux. »

 

Félicité de Lamennais, Paroles d’un Croyant (1834)



[1] Cf. Fénelon, Télémaque, chapitre IV : « Celui qui n'a jamais vu cette lumière pure est aveugle comme un aveugle-né ; [...] il meurt n'ayant jamais rien vu ; tout au plus il aperçoit de sombres et fausses lueurs, de vaines ombres [...]. »

[2] Cf. Fénelon, Traité de l'existence et des attributs de Dieu : « Il y a un soleil des esprits, qui les éclaire tous, beaucoup mieux que le soleil visible n'éclaire les corps. » (Première Partie, Chapitre II.)

[3] Marc (IV, 30) et Luc (XIII, 20 et sq.).

30/05/2015

"L’âme qui marche seule et sans directeur" (Saint Jean de La Croix)

juan_cruz_a (7).JPG« Il vaut mieux être chargé de peines en la compagnie de celui qui a de grandes forces, que déchargé de souffrances en la compagnie de celui qui a beaucoup de faiblesse. Lorsque vous souffrez, vous êtes proche de Dieu, qui est votre force, car il est près de ceux qui ont le cœur affligé (Psal., XXXIII, 19). Mais lorsque vous êtes exempt de croix, vous êtes très-proche de vous-même, qui êtes votre propre faiblesse, parce que la vertu et la force de l'âme s'augmentent et s'affermissent dans les afflictions les plus dures.

Celui qui veut vivre sans direction d'aucun père spirituel ressemble à un arbre qui est planté seul dans un champ, et qui n'appartient à personne. Tous ceux qui passent par là enlèvent ses fruits avant même qu'ils soient mûrs.

L'âme qui marche seule et sans directeur, dans les voies spirituelles, est semblable à un charbon allumé, mais séparé des autres, lequel, au lieu de s'embraser davantage, s'éteint tout à fait.

Celui qui va seul et sans guide, et qui tombe seul en chemin, demeure seul en sa chute, et il montre bien qu'il fait peu d'état de son âme, puisqu'il ose se fier à lui-même. »

Saint Jean de La Croix, Sentences spirituelles.

02/04/2015

"Dans un jardin, non de délice comme le premier Adam, où il se perdit avec tout le genre humain, mais de supplices, où Il se sauvera avec le genre humain"

« Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là.Je pensais à toi dans mon agonie, j’ai versé telles gouttes de sang pour toi. (...) Je te suis plus ami que tel et tel ; car j’ai fait pour toi plus qu’eux, et ils ne souffriraient pas ce que j’ai souffert de toi et ne mourraient pas pour toi dans le temps

de tes infidélités et cruautés » (Blaise Pascal, Pensées, BVII, 553)

 

Le Christ au jardin des oliviers, de Théodore Chassériau, 1840. Musée des Beaux-Arts de Lyon.jpg

Sainte semaine à tous, dans la méditation des souffrances et le recueillement des saints Mystères de la Croix.

 

02/01/2015

"Ainsi donc, sortons vers lui hors du camp, portant son opprobre."

« Un jour, les pharisiens lui demandèrent quand arriverait le royaume de Dieu. Jésus leur répondit : - le Royaume de Dieu ne viendra pas de façon visible. On en dira pas : « Venez, il est ici », ou : « Il est là », car, notez-le bien, le royaume de Dieu est au-dedans de vous. » (Luc XVII, 20-21)

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« L’enseignement du Divin Réparateur [a] porté, et ce avec une rare insistance, sur la vocation céleste de son Église, en nous révélant que son « Royaume » - expression entendue comme lieu où il demeure auprès du Père -, n’est pas de ce monde.

Il est frappant de constater que toutes les promesses, de charnelles qu’elles furent dans l’Ancien Testament (Genèse, Exode, Nombres, Lévitiques, Deutéronome, Josué, etc.), sont toutes devenues de nature céleste dans l’Évangile.

Le Seigneur Jésus dit ainsi aux Juifs : « Vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut : vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde » (Jean VIII, 23). Et lorsqu’il recommanda ses disciples à dieu, il déclara : « Ils ne sont pas du monde comme moi je ne suis pas du monde… Et moi je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’eux aussi soient sanctifiés par la vérité. » (Jean XVII, 16-19).

On ne remarque d’ailleurs pas assez, et on insiste bien trop peu sur le fait, que le Christ a souffert sa Passion « hors de la ville de Jérusalem » (Jean XIX, 20), ceci signalant que Jésus, lors de son sacrifice s’écartait du système judaïque, et invitait par la même les chrétiens, à son exemple, à s’extraire de la religiosité formelle qui se limite à suivre des rites sans que la réalité de la vie divine dans les cœurs ne soit présente. Ainsi dans l’Épître aux Hébreux il est indiqué : « Car les corps des animaux dont le sang est porté, pour le pêché, dans les lieux saints, par le souverain sacrificateur, sont brûlés hors du camp. C’est pourquoi aussi Jésus, afin qu’il sanctifiât le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte. Ainsi donc, sortons vers lui hors du camp, portant son opprobre. » (Hébreux XIII, 11-13)

Jésus-Christ, comme nous le montrent les évangiles, n’avait aucunement sa place au milieu du « camp d’Israël », dans une région terrestre attachée à une religion charnelle, de même que nous, à sa suite, n’avons plus notre place dans les systèmes religieux mondains rivés au domaine de la terre, attitude de dégagement qui nous est signalée par cette phrase : « sortons hors du camp ». La position des âmes de désir à présent est donc, d’une par d’être « en esprit » dans le Sanctuaire céleste, là où le Grand Sacrificateur célèbre le culte éternel, et, en leurs enveloppes matérielles, sur la terre, de se retirer, physiquement et spirituellement, « hors du camp » : « Nous avons un objet plus vaste à remplir que celui de nous occuper des obscurités naturelles qui tiennent essentiellement à l’état terrestre de l’esprit de l’homme, mais bien plus encore de nous occuper des clartés et des lumières qui appartiennent à son indestructible essence. » (Le Nouvelle homme, § 2). »

J.- M. Vivenza, Le culte en esprit de l’Église intérieure, éditions La Pierre Philosophale, septembre 2014, p. 45-46

27/10/2014

"Montrons maintenant comment l’âme qui sent l’appel de Dieu à la pénitence doit se conduire pour remporter un succès complet"

« Nous ne ferons donc plus que des œuvres vives quand nous serons régénérés assez profondément pour pouvoir dire avec l’apôtre : "ce n’est pas moi qui vis, c’est Jésus qui vit en moi." 

william law.jpgMontrons maintenant comment l’âme qui sent l’appel de Dieu à la pénitence doit se conduire pour remporter un succès complet.

C’est une semence qui ne peut croître que par sa propre force et union avec Dieu.

Lorsque la Vierge Marie reçut la visite de l’ange, elle dit simplement : "je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre volonté." C’est également tout ce que nous pouvons faire pour la conception de ce nouvel homme qui doit naître en nous ; elle doit être acceptée avec une assurance profonde et semblable à celle d’un homme qui sait n’avoir pas créé les étoiles et n’être pas l’auteur de sa propre vie ? C’est un acte de foi qui met l’âme dans un état convenable et qui prépare l’opération divine en elle.  La lumière la pénètre et le Saint-Esprit meut et dirige tout ce qui doit être accompli. Cette vérité a deux conséquences :

La première, c’est que l’âme est maintenue constamment dans la joie, la prière, le désir, la confiance et l’abnégation ; et cet état est ainsi à la porte des communications célestes, et la lumière divine arrive à elle aussi librement que les rayons solaires.

La seconde conséquence, c’est que l’âme reconnaît notre néant et notre incapacité ; le moi est abandonné et son royaume détruit puisque nous ne pouvons plus rien faire de bien lorsque dieu nous en donne la force ; il n’y a plus de place pour la fierté et l’estime de soi ; nous sommes préservés de la sainteté pharisaïque, de la joie de nos soi-disant bonnes actions, d’une foule d’erreurs  fondées sur le quelque chose que nous croyons être dans la nature ou dans la grâce. Mais si nous parvenons à connaître quelque peu l’absolu divin et notre néant, nous avons reçu une vérité dont l’importance est inépuisable. Elle apporte dans l’âme une certaine véracité, tout ce qui est faux et vain s’évanouit ; si notre religion est fondée sur le roc, elle en a la solidité ; le monde, la chair et le diable ne peuvent rien contre elle. C’est la connaissance de l’absolu divin qui rend les chérubins et les séraphins des flammes d’amour : car là où Dieu est reconnu par une créature, rien ne peut subsister que l’Amour ; et cet Amour engendre dans l’être la vie séraphique. La créature est introduite en Dieu, unie à Lui et voit se révéler en elle. »

William Law (1686-1761), L’Esprit de la prière, traduction de Paul Sédir, Arqa, mai 2010, pp. 58-59

 

05/06/2014

"Voici la Couronne, mais où est la Croix ? Où est la Coupe d’amertume, et le baptême de sang ? Viens lecteur, suis sa trace ; méprise ce monde pour cette joie inexprimable, alors certainement ton salut approchera"

« La Croix du Christ, est le chemin par où il nous mène à la Couronne. »

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« Car ceux qui sont véritablement en Christ, c’est-à-dire, ceux qu’il a racheté et qui ont droit de prétendre en lui, sont faits nouvelles créatures [Gal. VI, 15]. Ils ont reçu une nouvelle Volonté ; tels sont ceux qui sont la Volonté de Dieu, non la leur propre. Ils prient en vérité, et ne se moquent pas de Dieu, lorsqu’ils disent Ta Volonté soit faite sur la Terre comme au Ciel [Mat. VI, 10.] ; ils ont des nouvelles affections, qui sont telles, qu’elles se fixent sur les choses d’en-haut, et font de Christ leur Trésor Eternel : ils ont une nouvelle Foi, qui est telle qu’elle surmonte les pièges et les tentations de l’esprit du Monde à mesure qu’ils les aperçoivent, soit en eux-mêmes, ou dans autrui. Et finalement leurs Œuvres sont nouvelles ; ce ne sont point celles d’une intrigue superficielle, ou d’une invention humaine, mais les purs fruits que l’Esprit de Christ opère en eux. »

William Penn (1644-1718), Sans Croix, point de Couronne (1669), Chap. I, 8.