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29/01/2018

« Dans ce temps que je ne sortais plus les fêtes ni les dimanches pour assister au service, je fis une église de ma prison. »

« Je voudrais qu’on eût vu combien cela est beau et dévot, de se trouver ainsi seule au milieu de la nuit à bénir Dieu dans une prison, chantant ses louanges sans pouvoir être entendue que de lui et sans entendre quoi que ce soit qu’un profond silence. »

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«  (…) et je suivais en esprit tout ce que le prêtre dit dans le sacrifice, car elles m’avaient prêté un missel »

(Angélique de Saint-Jean Arnauld d'Andilly, abbesse, rappelée à Dieu le 29 janvier 1684)

 

« Dans ce temps que je ne sortais plus les fêtes ni les dimanches pour assister au service, je fis une église de ma prison, et je chantais presque tout l’office seule ces jours-là, à nos heures ordinaires. Je chantais de même ce que le chœur chante aux grand-messes, quand je le savais bien, et au moins, le Kyrie, le Gloria, le Sanctus et Agnus Dei, et je suivais en esprit tout ce que le prêtre dit dans le sacrifice, car elles m’avaient prêté un missel, de sorte que le temps que je donnais à entendre la grand-messe de cette sorte allait au moins à une heure et demie, et ainsi il ne m’en restait point à m’ennuyer ; toute ma matinée était aussi remplie que si j’eusse suivi la communauté chez nous. Je faisais de même les processions seule autour de notre chambre, en tenant une croix à ma main et en chantant ce qui s’y devait dire, et de même de l’eau bénite les dimanches, dont j’aspergeais tout autour de la chambre en chantant Asperges me, et mon intention était de chasser par cette aspersion toutes les malices spirituelles dont j’appréhendais la tentation partout, d’autant plus que je n’avais personne pour m’aider à me défendre. Je jetais de l’eau bénite sur notre lit pour chasser l’esprit de paresse, sur la table où je mangeais contre la délicatesse, dans la ruelle qui me servait d’oratoire pour en éloigner la distraction, à l’endroit où je travaillais pour me garantir de la curiosité et de l’attache à mon ouvrage, mais surtout à la porte de la chambre, de peur que l’esprit de séduction n’y entrât avec celles qui tâchaient à l’y amener, ou qu’au moins l’impatience et l’indiscrétion ne me fissent faire de fautes quand on venait interrompre ma solitude par quelque visite.

Les grandes fêtes, que nous devions chanter matines, je me levais, quand je pouvais m’éveiller, quelquefois dès minuit ou à une heure ou deux, et je chantais de même tout ce que je pouvais chanter de matines, car je n’avais pas assez de voix pour chanter tous les psaumes, et je me contentais d’ordinaire de chanter le Venite, l’hymne, les antiennes et les répons que je savais, et toutes les fêtes où l’on doit chanter Laudes, le Te Deum, les antiennes, l’hymne et le Benedictus, si je le pouvais. Pour ce qui est de cela, je voudrais qu’on eût vu combien cela est beau et dévot, de se trouver ainsi seule au milieu de la nuit à bénir Dieu dans une prison, chantant ses louanges sans pouvoir être entendue que de lui et sans entendre quoi que ce soit qu’un profond silence, au milieu de cette grande ville, dont on en cesse point d’entendre le bruit qu’à cette heure-là, car jusqu’à plus de onze heures les carrosses roulent encore . »

 

Angélique de Saint-Jean Arnauld d’Andilly (1624-1684), Aux portes des ténèbres. Relation de captivité, Gallimard, 1954.

 

 

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