Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/04/2023

« Des douleurs intérieures de Jésus-Christ dans sa Passion » : LA TRISTESSE (1)

Méditation autour de la Passion

Père Louis Bourdaloue (1632-1704), Retraite spirituelle à l’usage des communautés religieuses, seconde méditation, Paris, transcription d’après l’édition des Libraires associés, 1753, pp. 315-320.

Tuc ait illis : Tristis est anima mea usque ad mortem. (Matth. c. 26.)

Alors il leur dit : je suis dans une tristesse mortelle.

Gerard-van-honthorst-gerrit-van-honthorst-christ-in-the-garden-of-gethsemane-the...-in-the-garden-1.jpg

« PREMIER POINT. Jésus-Christ devait être notre modèle en tout, & il a voulu dans sa passion nous apprendre comment nous devons nous comporter dans les peines & les afflictions de la vie. Il y en a de deux sortes : d’intérieures qui n’affligent que l’âme, & d’extérieures qui affligent les sens. Or les unes & les autres me fournissent la matière de deux importantes méditations ; & quant à ce qui regarde d’abord des peines intérieures du Fils de Dieu, elles se réduisent à trois espèces, que les Évangélistes nous ont marquées, & qui sont la tristesse, l’ennui, la crainte.

De quelle tristesse est-il tout-à-coup accablé, lorsqu’après la dernière Cène qu’il avait faite avec les Apôtres, il va au jardin de Getsémani ! A peine peut-il se soutenir lui-même, & selon qu’il le déclare aux trois disciples qu’il a choisis pour l’accompagner, la douleur est si violente, qu’elle serait seule capable de lui causer la mort : Mon âme est triste, leur dit-il, & c’est une tristesse à en mourir. Voilà par où a commencé cette sanglante passion qu’il a endurée pour moi. Ce n’était point assez qu’il livrât son sacré Corps au supplice de la croix ; il fallait que son âme fût livrée aux plus rudes combats, & qu’elle en ressentît les plus vives & les plus douloureuses atteintes. C’était une partie, & même la principale partie de la satisfaction qu’il devait faire à son Père pour les péchés des hommes, parce que c’est dans le cœur que le péché est conçu, & c’est proprement l’âme qui, par le dérèglement de la volonté, le commet.

Quoi qu’il en soit, que fait-il dans cette tristesse qui l’abat, & qu’il ne pourrait porter sans un miracle ? A-t-il recours aux vaines consolations du monde ? Cherche-t-il au moins quelques soulagements & quelque appui auprès de ses Apôtres ? Se laisse-t-il aller à l’impatience et aux plaintes, & pour décharger son cœur du poids qui le presse, s’épanche-t-il en de longs discours ? Deux ou trois paroles, c’est tout ce qu’il dit de son état. Du reste, sans s’arrêter avec ses disciples, il se retire à l’écart, il va prier, il y passe trois heures entières, le ciel est tout son refuge & tout son soutien ; & qu’il en soit écouté, ou qu’il paraisse ne l’être pas, il y met toute sa confiance, & n’a point d’autre sentiment que d’une soumission parfaite & d’une pleine résignation : Mon Père, qu’il en soit fait selon comme vous l’ordonnez, & non comme je le veux. (Matth. c. 26.)

Quelque exempte que semble la profession religieuse des chagrins de la vie, il y a dans la religion aussi bien qu’ailleurs, des jours pénibles & des temps de tristesse. On a partout de mauvais moments, & j’ai les miens comme les autres. Nous sommes même tellement nés, que si nous n’avons pas de vrais sujets de chagrin, nous nous en faisons d’imaginaires. Sans examiner ce qui attrista le Fils de Dieu au point où il le fut, où il témoigna l’être, nous ne pouvons douter que sa douleur n’ait été aussi véritable dans son principe & aussi raisonnable, qu’elle était amère et sensible dans ses effets : au lieu que ce qui fait en mille rencontres toute ma peine, ce n’est qu’une idée & qu’un fantôme ; ce n’est que ma délicatesse extrême, que mon humeur inquiète, que mon orgueil, que mon amour-propre. Car si je veux bien rentrer en moi-même & sonder le fonds de mon cœur, je trouverai que c’est là communément ce qui le remplit d’amertume. Pourquoi êtes-vous triste, ô mon âme, & pourquoi vous troublez-vous ? (Psalm. 41.v.14) C’est que vous êtes ingénieuse à vous tourmenter, souvent sans raison, & même contre toute raison.

Mais, soit que mes chagrins soient bien ou mal fondés, comment est-ce que je les supporte ? Combien de réflexions également inutiles & affligeantes, dont e me ronge en secret ? Combien de vaines distractions que je tâche à me procurer, & au-dedans, & au-dehors, sous le spécieux prétexte de guérir mon imagination, & de la détourner des objets dont elle est frappée ? Combien quelquefois de dépit & d’animosités contre les personnes à qui j’attribue ma peine & que j’en crois être les auteurs ? A l’égard même de ceux qui constamment & de ma propre connaissance, n’y ont nulle part, combien m’chappe-t-il d’impatiences & de termes offensants, comme si je m’en prenais à eux, & que je fusse en droit, parce que je souffre, de les faire souffrir ?

Ô que ne suis-je soumis comme Jésus-Christ ! Si je savais me taire, & me tenir dans un silence chrétien & religieux ; si je me retirais dans l’intérieur de mon âme, & si j’y renfermais toutes mes peines ; si pour répandre mon cœur, je n’allais qu’à Dieu, & je ne voulais point d’autre consolation que celle qu’on goûte dans la prière & avec Dieu, que de fautes j’éviterais ! Que d’inquiétudes & d’agitations je m’épargnerais ! L’Ange du Seigneur viendrait, & il me conforterait ; ou plutôt, le Seigneur descendrait lui-même avec toute l’onction de sa grâce. Il me servirait de conseil, d’ami, de confident. Il appliquerait le remède à mon mal ; & s’il ne lui plaisait pas de m’en accorder l’entière guérison, du moins il l’adoucirait, & me le rendrait, non seulement plus tolérable, mais salutaire et profitable. J’étais dans le dernier abattement, disait le Prophète Royal, & je croyais que rien ne pouvait me consoler ; mais je me suis souvenu de Dieu, & tout-à-cou cette vue de Dieu m’a remis dans le calme & dans la joie. (Psalm. 76) Voilà ce que ce Saint Roi avait plus d’une fois éprouvé : pourquoi ne l’éprouverais-je pas de même ? »

Les commentaires sont fermés.