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08/04/2023

« Des douleurs intérieures de Jésus-Christ dans sa Passion » : LA CRAINTE (3)

Méditation autour de la Passion

Père Louis Bourdaloue (1632-1704), Retraite spirituelle à l’usage des communautés religieuses, seconde méditation, Paris, transcription d’après l’édition des Libraires associés, 1753, pp. 323-329.

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« TROISIEME POINT. Un troisième sentiment dont le cœur de Jésus-Christ fut pressé & serré, c’est la crainte & la plus vive répugnance. Au milieu des ténèbres de la nuit qui l’environnaient & dans ce lieu désert où il s’était retiré, toute l’idée de sa passion lui vint à l’esprit, & se trouvant à la veille d’une mort si ignominieuse & si douloureuse, il s’en fit une image qui le saisit de frayeur. L’impression fut telle, que tous ses sens en furent troublés : & l’extrême répugnance qu’il sentit, le porta même à demander de ne point boire un calice aussi amer que celui qui lui était préparé : Mon Père, s’il est possible, détournez de moi ce calice. (Matth. c. 26.) Et sans doute n’est-il pas étonnant qu’à la vue de tant d’opprobres où il allait être exposé, & de tant de souffrances où son corps devait être livré, toute la nature se révoltât. Jamais combat intérieur ne dut être plus violent, et ne le fut en effet. Il en tomba dans une mortelle agonie, & il en fut tout couvert, depuis la tête jusques aux pieds, d’une sueur de sang. Mais tout cela ne se passait après tout que dans l’appétit sensible ; & sans égard aux révoltes de la nature, la volonté demeurait toujours également ferme & constante. Aussi dès le moment qu’il fallut en venir à l’exécution, & que ses ennemis approchèrent pour le prendre, il ne pensa point à fuir ni à se cacher. Au contraire il s’avança lui-même vers eux ; il leur déclara qui il était : C’est moi (Joan. c. 18), leur dit, que vous cherchez ; voici votre heure et l’empire des ténèbres. (Luc. c. 22.) Vous pouvez faire de ma personne tout ce qui est ordonné. Quel effroi tout ensemble & quel courage dans cet Homme Dieu ! Quelle consternation, & quelle résolution !

Quand il se présente une occasion où j’ai à me vaincre moi-même, je ne puis d’abord arrêter certains sentiments naturels qui s’élèvent dans mon cœur et certaines répugnances involontaires. N’est-ce pas surtout ce que l’on éprouve dans une retraite ? Il n’y a point surtout d’amitié si tiède et si endormie, qui ne se réveille en ce saint temps & ne se ranime. Dieu parle au cœur, la grâce éclaire l’esprit, on se reproche ses égarements, & l’on en découvre les principes. De là-même on voit de quels remèdes on devrait user, & ce qu’il y aurait à faire : on sent qu’on n’est pas à beaucoup près ce qu’on devrait être, & l’on reconnaît à quoi il tient qu’on ne le soit. Mais on craint de s’y engager & de l’entreprendre. On s’y propose des difficultés infinies, & l’on se défie sur cela de ses forces. On dispute avec soi-même ; mais tout le fruit de ces longs raisonnements est une incertitude où l’on ne conclut rien, & l’on ne se détermine à rien.

N'est-ce pas là peut-être l’état où je me trouve présentement ? En vain je voudrais me tromper & m’aveugler ; Dieu malgré moi ne me fait que trop connaître ce qu’il faudrait changer & réformer dans ma vie pour la rendre plus religieuse. Certains exemples que j’ai devant les yeux, les remords secrets de ma conscience, les avis de mes Supérieurs, les réflexions que j’ai faites dans le cours de ma retraite & que je fais encore, tout cela ne me permet pas d’ignorer  à quoi je devrais mettre ordre, & tout cela m’inspire assez de bonnes vues & de bons sentiments. Mais qu’est-ce qui m’arrête ? Ce qui m’a cent fois arrêté : une vaine peur & une timidité que je n’ai pas la force de surmonter, & qui me représente les choses comme insoutenables pour moi & comme impraticables. Ces fausses terreurs dont je me laisse préoccuper, vont même jusqu’à me faire imaginer mille raisons apparentes de différer de ne point aller tout d’un coup si avant ni si vite. Jésus-Christ ne différa ni ne délibéra point de la sorte. Était-il toutefois, au fond de son cœur, moins agité que moi ? Avait-il moins sujet de l’être ? Cette passion qu’il envisageait de si près, & dont il s’était si vivement retracé dans l’esprit toute l’horreur, devait-elle moins lui coûter, & avait-elle moins de quoi l’étonner ? ah, me laisserai-je toujours intimider & déconcerter aux moindres obstacles que ma faiblesse fait naître, & qu’elle augmente dans mon idée ? Ou si la crainte me prévient, n’apprendrai-je jamais à me raffermir contre ses premiers mouvements ; & jamais ne me dirai-je aussi résolument & aussi efficacement que le dit Jésus-Christ à ses Disciples : Levons-nous, & marchons ? (Matth. c. 26.)

CONCLUSION. Aimable Sauveur, c’est par votre sagesse & votre miséricorde infinie, que vous avez voulu paraître faible comme moi, & être sujet aux mêmes révoltes intérieures que moi, afin que votre exemple m’instruise et me fortifiât. Sans cela, ô mon Dieu, sans cette règle & ce soutien que je trouve en vous, où en serais-je à certains moments, & que deviendrais-je ? Vous voyez combien je suis différent de moi-même d’une heure à une autre, & de quelles vicissitudes je suis continuellement agité. Un jour mon âme est en paix, & même dans une sainte allégresse ; mes devoirs me plaisent, & je goûte le bonheur de mon état ; rien ne me fait peine, & il me semble qu’il n’y a point de victoire que je ne sois en disposition de remporter sur moi-même & sur toutes les passions de mon cœur. Mais dès le jour suivant, ce n’est plus moi. Mes exercices me sont à charge ; je m’en fais une fatigue, & j’y sens une opposition qui me les rend non seulement insipides, mais très pénibles. Ainsi toute ma vie n’est qu’un combat perpétuel, & qu’une variation, où il me semble que tout à tout deux esprits tout contraires me gouvernent.

Pourquoi, Seigneur, le permettez-vous ? Vous avez en cela, comme en tout le reste, vos desseins ; vous avez vos vues, & des vues du Salut pour moi & de sanctification. Vous voulez que je sois éprouvé comme vous l’avez été. Vous voulez que je pratique dans mon état les mêmes vertus, & que j’acquière par proportions les mêmes mérites. Vous voulez que j’endure le même martyre du cœur, & que je fasse le même sacrifice de toutes les douceurs de l’esprit & de toutes les consolations. Ainsi soit-il, mon Dieu, puisque c’est votre volonté. Il me serait trop aisé & trop doux de vous suivre, si j’y sentais le même attrait. Vous cependant, Seigneur, ne cessez point de me soutenir, non seulement de votre exemple, mais de la grâce qui l’accompagne. Que l’un & l’autre m’affermissent tellement dans vos voies, qu’il n’y ai ni tristesses, ni ennuis, ni craintes qui puissent m’en détourner. Que j’y marche toujours du même pas, quoi que ce ne soit pas toujours avec le même goût. Plus j’aurai à prendre sur moi pour y avancer, plus ma persévérance sera glorieuse, & plus vous lui préparerez de couronnes pour la récompenser. »

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